L’enfance de la balle
Le cinéaste iralien Abbas Kiarostami, disparu pendant l'Euro, a eu la Palme d'or. Il avait aussi, on le sait moins, filmé la pratique de rue du football. Cet amour universel du jeu.
Depuis les hauteurs bourgeoises de Montmartre, le regard vers le nord, on aperçoit les cimes blanches du Stade de France. Le 4 juillet dernier, l’enceinte dionysienne respire encore la joie de la qualification, certes attendue, des Bleus face à l’Islande. L’humeur du pays est cependant à la fébrilité puisque le premier vrai choc du tournoi se dessine devant son équipe, la demi-finale face à l’Allemagne de Joachim Löw. Une triste nouvelle se glisse alors discrètement dans l’excitation inquiète qui caractérise les journées précédant les grands matches: deux jours après Michael Cimino, réalisateur des grands Voyage au bout de l’enfer et La Porte du paradis, c’est Abbas Kiarostami, le cinéaste iranien, qui meurt à Paris, à soixante-seize ans.
L’or et le jeu
Son lien avec le football est lointain, il faut retourner dans le passé, remonter à ses films sur l’enfance qui sont le socle de sa filmographie. Le premier travelling de son œuvre, en 1970, suit la conduite de balle maladroite d’un garçon haut comme trois pommes. Le héros du court-métrage Le Pain et la rue pousse du pied une boite tordue qui fait donc office de ballon capricieux, emmenant son joueur dans une drôle de marche irrégulière. Court-métrage, petit garçon mais grands sentiments: la grandeur du Pain et la rue est celle de sa modestie. Dix petites minutes en noir et blanc qui donnent une illustration de la peur, du courage et de l’amitié, rien que ça.
Le football apparaît lors de cette séquence introductive dans la dimension légendaire que sa pratique de rue a acquise. Cette pratique est d’abord celle de l’enfant, guidée par le jeu. Puis la légende prend forme quand le récit s’attache au parcours du professionnel, enfant hissé plus haut que les autres par son talent, depuis la rue jusqu’à la chasse au Ballon d’or. Et Paris, cet été, rassemblait cette totalité du football, la rue et la légende. La capitale française accueillait bien une fête européenne symbolisée par la présence de tous ces supporters étrangers en chemin vers le Parc des Princes, le Stade de France ou d’autres stades dans d'autres villes. Mais en même temps que cette fête du professionnalisme et du talent se jouait, il fallait s’éloigner du point de vue bourgeois de Montmartre pour redescendre vers l’autre football. Comme un hommage imprévu au cinéaste iranien, les enfants jouaient dans le quartier de la Goutte d’or. Ici un trio avec une gardienne et deux tireurs de coups francs devant l’escalier coincé entre deux immeubles qui leur sert de but. Là un petit garçon qui fait un mur dans la cour d’entrée de sa résidence, tapant inlassablement dans son ballon un peu dégonflé. Le jeu pour le jeu.
Le voyage
Plus loin dans le XVIIIème arrondissement, l’esplanade Nathalie Sarraute est colorée par les tentes “2 secondes” d’un campement de réfugiés. Quelques hommes jonglent, échangent des passes et des sourires pour un moment de détente au milieu d’un quotidien de survie. Le campement sera évacué quelques jours plus tard et ces anonymes n’auront sans doute pas terminé leur voyage quand Eder volera la vedette aux étoiles Ronaldo et Griezmann.
Le voyage pour un rêve, c’est le scénario d’un autre film de Kiarostami. En 1974, Le Passager est l’odyssée d’un jeune adolescent qui fait les 400 coups pour se payer le trajet en bus jusqu’à Téhéran. Sa destination? Le stade si grand et si inaccessible où l’équipe nationale va jouer un match de football. Prêt à toutes les combines pour réunir la monnaie du ticket de bus, il tombe sur un vieil appareil photo. Une série de portraits imaginaires plus loin et la somme est réunie par ses camarades crédules. Kiarostami n’a pas eu la Palme d’or avec ses films sur l’enfance mais pour Le Goût de la cerise en 1997. La gloire a patienté et s’est construite sur ceux-là, qui montrent l’enfance dans l’innocence du jeu et du rêve au cœur du quotidien. Le football n’a pas échappé à son regard. L’enfance de la balle, celle du plaisir du jeu, est parisienne ou iranienne, elle est universelle.