L'autre événement du week-end
En direct et en intégralité
Dans un éclair de lucidité, Canal+ s'est rendu compte qu'il était absurde de ne pas diffuser intégralement Lyon-Lens, et a annoncé l'abandon de sa traditionnelle formule de multiplex. C'est évidemment cruel pour les autres rencontres "décisives", mais un championnat qui se joue sur une ultime confrontation entre les leaders, c'est suffisamment exceptionnel. Il y a une certaine justice sportive à donner la priorité à cet enjeu plutôt qu'à celui d'une place en tour préliminaire de Ligue des champions ou d'une relégation…
Quitte ou double
Chez les supporters, la pression monte, alors que le match va faire jeter le désarroi dans un camp et la joie dans l'autre. On pèse les arguments qui s'opposeront sur le terrain. Mais avant d'évaluer les armes sportives, il semble presque plus important de sentir dans quel sens le vent va souffler. Celui du leader presque exclusif de la saison, recueillant les fruits de sa régularité (et de son point d'avance), revigoré par sa large victoire contre Guingamp? Ou celui de l'éternel second qui va enfin saisir sa chance, sur la lancée d'un final presque sans faute et avec la confiance de ses treize victoires à domicile?
La dimension psychologique sera effectivement essentielle pour faire basculer le résultat. Les grandes assurances données des deux côtés en témoignent. Chez les Lyonnais, on soigne cet aspect en cultivant le sentiment d'être mal aimés, à l'instar du président. L'absence de toute récompense aux Oscars de Canal+ a été l'occasion de raviver ce thème et de resserrer les rangs autour de Santini, autre grand incompris. Par contre, on doutera de la pertinence à évoquer dans cette période décisive les démarches du club pour remplacer son entraîneur, la satisfaction d'avoir décroché la Ligue des champions ou les objectifs commerciaux pour la saison prochaine…
Joël Muller, lui, dédramatise et assure qu'il a depuis longtemps persuadé son groupe qu'il peut faire une performance à Lyon. Guillaume Warmuz montre sa décontraction devant les micros. Quant à Diouf, il exhortait déjà ses camarades à la fin du match contre Guingamp. La préparation des Nordistes suivra son programme habituel, alors qu'à l'inverse les Rhodaniens recherchent une montée en intensité, s'entraînant à huis clos et partant dès aujourd'hui en Beaujolais pour une mise au vert de longue durée.
Sur le plan des hommes, cette finale prend d'abord le tour d'un affrontement entre les deux meilleures attaques (et de très loin) du pays, même si c'est résumer un peu sommairement sa dimension tactique. L'OL compte en effet avec Govou et Anderson des joueurs d'exception capables de faire basculer les gros matches, de préférence sur des actions somptueuses. Le Racing fondera ses espoirs de tuer ceux des Lyonnais sur Diouf, et sur ses soutiens de choix, Pedron, Moreira, Sibierski ou Coridon.
Gerland et Lyon prêts à craquer
Le Racing a procédé à une attribution "au mérite" des 2000 places qui lui ont été allouées: elles iront en priorité aux supporters ayant effectué les déplacement les plus lointains cette saison (Bastia et Monaco). C'est plutôt bon esprit. A Lyon, on a entendu dire que les demandes avaient atteint le nombre de 500.000 (selon les organisateurs). Une apothéose pour Gerland, qui a connu des moments très forts ces deux dernières saisons, et qui fera un bien beau théâtre pour le dernier acte du championnat. La Place des terreaux etait initialement prévue pour accueillir l'écran géant qui permettre aux autres de suivre la retransmission dans une chaude ambiance, mais c'est finalement la Place Bellecour, plus vaste, qui a été choisie. Pour faire la fête en cas de victoire, ce sera mieux, et pour se disperser aussi si la déception est au bout…
Aulas sympa, ambitieux et prudent à la fois
Déjà omniprésent en temps ordinaire, Jean-Michel Aulas se multiplie dans les médias. Après un début de pression mise sur l'importance de la prestation de l'arbitre et quelques exercices de dénigrement du manque d'ambition de Joël Muller, le président lyonnais a mis la pédale douce et balayé l'affaire Bak, préférant afficher maintenant une franche camaraderie avec son collègue Gervais Martel. Entre membres du bureau de la Ligue, de l'UCPF, du Club Europe et du quarteron de putschistes de juillet 2000, on doit forcément s'entendre. Aulas tâche ainsi, dans un style inspiré à la fois de Jean-Marie Messier et d'Alain Madelin de prouver constamment son humanité, conscient d'avoir à peu près la cote de sympathie de Juppé en 95. "Le vainqueur sera sûrement et immensément très heureux. Mais je suis sûr qu'il aura une pensée tout amicale et profonde pour l'autre" (Reuters 01/05). Tant mieux si ces bons sentiments l'emportent sur la tendance à pourrir l'atmosphère qui a été la règle cette saison chez certains dirigeants français dont JMA fait évidemment partie.
On retrouve aussi dans les multiples déclarations du président de la Cegid, d'une part le souci de faire valoir la dimension prise par l'OL, d'autre part le tour d'esprit consistant à voir la réussite dans le football sur un mode statistique, selon une rhétorique du mérite: "Sur la saison, c'est vrai que Lens fait une belle course depuis le début mais dans le Tour de France, on attend la dernière étape pour sacrer le vainqueur. Et si nous regardons sur les quatre dernières années et si on veut parler de mérite, Lyon mérite beaucoup plus que toutes les autres". C'est à mettre en lien avec cette fameuse déclaration de 97 ou 98 qui affirmait que Lyon, grâce à sa politique sportive et financière irréprochable, serait inéluctablement champion dans les cinq années à venir. A 90 minutes de la réalisation de ce pronostic, qui constituerait une énorme victoire personnelle, Aulas est un peu dans la peau du bon élève appliqué et obstiné que les récompenses fuient injustement ("on a l'impression qu'il serait inéquitable que le titre ne nous revienne pas") mais qui finit quand même par y arriver. Si son club échoue, il invoquera son bilan et un "classement aux points" qui mettrait effectivement en tête l'OL sur la dernière période ("Je n'ai pas peur de dire que depuis cinq ans l'OL est le premier club français sur le plan sportif" — France Football 30/04). Mais il n'abusera personne, surtout pas les supporters lyonnais, en ce qui concerne les titres obtenus. C'est bien pourquoi le rendez-vous de samedi est aussi crucial et qu'une victoire serait une vraie délivrance pour tous les Gones.
On ne sera délivré de ce délicieux suspens que samedi soir, vers 21h50. Ceux qui ont un écran à proximité de la télé pourront suivre le premier "Direct" des Cahiers du football, afin de tester notre configuration Coupe du monde…