L’Alki, dernier d’Europe
Le pire club européen de foot actuel évolue dans l’élite chypriote. Laminé sportivement et financièrement, l’Alki Larnaca compte actuellement... -35 points.
Zéro victoire et deux nuls en vingt et un matches: à Chypre, le bilan sportif de l’Alki Larnaca est épouvantable. Avec le douzième du classement – et ultime qualifié pour les play-down locaux – qui affiche seize points, l’espoir de maintien de l’Alki, aux quatre cinquièmes de la phase régulière, est sportivement moins que minime.
Le troisième club de la troisième ville
Troisième plus grande ville à Chypre, Larnaca héberge cinq clubs de football de l’élite locale: l’AEK, l’Alki, l’Ermis Aradippou – club de la banlieue – ainsi que deux équipes de Famagouste, délocalisées par la force des choses [1]. Pour autant, Larnaca n’est pas la place forte du foot chypriote: ces derniers temps, ce sont les clubs des deux plus grandes cités de l’île, Nicosie et Limassol, qui ont trusté les titres. Le dernier sacre en championnat d’un club de Larnaca remonte à 1988, et la ville de la côte sud-est n’a remporté qu’un unique trophée depuis 1970.
La hiérarchie locale ne plaide pas en faveur de l’Alki dernièrement. Le meilleur club de Larnaca est l’AEK, résultat de la fusion en 1994 du Pezoporikos avec l’EPA, les deux clubs de la ville qui avaient un palmarès – six Coupes, cinq championnats. L’AEK s’est ainsi qualifiée pour les play-off européens en 2008, 2011 et 2013, et a gagné la Coupe en 2004. L’Alki a eu son heure de gloire vers les années 1970, avec cinq finales de Coupe – toutes perdues. Avec un unique tour joué en Coupe d’Europe depuis sa fondation en 1948, et plusieurs titres de champion… de deuxième division, l’Alki n’est qu’un club de second rang. Depuis sa dernière remontée dans l’élite en 2010, l’Alki vivote autour de la dixième place d’un championnat à quatorze. Seules réussites récentes: l’Alki esquive les play-down en 2012, et voit pour la première fois en 2013 un des siens, le Portugais Bernardo Vasconcelos, être sacré meilleur buteur du championnat de Chypre.
L’Alki l’arnaqué
Ces petites joies ne durent pas. Historiquement lié à l’AKEL – le parti communiste à Chypre – récemment englué dans plusieurs scandales, l’Alki connaît lui aussi de sérieux déboires côté finances. Au point de voir l’intégralité de son imposante armada étrangère partir à l’été 2013, souvent dans des championnats méconnus (Vasconcelos en Pologne, d’autres en Australie, Azerbaïdjan, Isräel ou Luxembourg). Pour pallier cette quinzaine de départs, l’Alki accueille une douzaine de très jeunes joueurs, presque tous du pays, en majorité prêtés par les clubs de la capitale et l’AEK Larnaca. Avec un effectif aussi jeune et inexpérimenté, où seul le gardien et capitaine Demetris Stylianou a plus de vingt-deux ans, le club bleu et rouge n’évolue pas au niveau de ses adversaires, et cumule les larges revers. Son rang de relégable, occupé depuis la deuxième journée, en est la logique conséquence.
Manque d’argent à l’Alki? Pas pour tout le monde: le président du club, Nikos Lillis, un homme d’affaires local de quarante-deux ans, a été arrêté l’an passé pour sa participation à une affaire mêlant fraudes et corruption – une embrouille immobilière aux profondes ramifications, qui implique un patron des télécoms locaux, des cadres du premier parti d’opposition (l’AKEL) et des dirigeants syndicaux. L’Alki, qui a touché de l’argent de l’AKEL pour éponger des dettes, s’est aussi vu infliger en sept mois cinq retraits de points, pour un total de seize unités, faute d’avoir respecté les critères financiers de l’UEFA. Et cet hiver, il a été sanctionné à trois autres reprises, cédant vingt et un points supplémentaires pour ne pas avoir participé aux frais liés aux arbitres lors de ses matches joués à domicile. Le bilan mathématique de l’Alki, à -35 points au classement actuellement, est pour sûr un record d’Europe. Assuré ainsi de sa relégation, l’Alki ne peut même plus prétendre à un nombre positif de points. Et de nouvelles pénalités ne sont pas à exclure.
Alki profite le crime?
Une remontée immédiate est improbable avec la prochaine réduction de l’élite à douze clubs. Sans légion étrangère – contrairement à la plupart des clubs de l’élite de l’île, particulièrement fournis en Portugais, Brésiliens et Espagnols, entre autres – et avec un groupe professionnel de vingt ans de moyenne d’âge – au sein duquel le "meilleur" buteur Leandros Lillis n’est même pas majeur – l’Alki Larnaca n’a probablement pas les armes pour assurer sa place en seconde division. L’Alki, où ont brièvement évolué Kaba Diawara et Lamine Sakho voici cinq ans, devra patienter pour un nouveau titre de champion de D2.
L’Alki n’est pas le seul mauvais élève de l’île. La FIFPro a indiqué l’été dernier que c’était à Chypre que le nombre d’impayés de clubs envers leurs joueurs était le plus important, loin devant les championnats turc et grec pourtant orfèvres en la matière. En tout, cinq clubs de l’élite îlienne ont été sanctionnés au classement ces deux dernières années, et quatre d’entre eux ont fini – ou vont finir – relégués. Un autre, l’APOP Kinyras Peyias, créé en 2003, lauréat en Coupe en 2009 et encore dans l’élite en 2011, a fait faillite et disparu depuis. Quant à la deuxième division, cette saison, trois relégués récents y cumulent trente-six points de pénalités...
Comme en Grèce, ces malheurs ne touchent pas que les équipes modestes. L’Anorthosis Famagouste a ainsi dû vendre l’été dernier sa vedette colombienne Ricardo Laborde au FC Krasnodar pour la somme record de 1,7 millions d'euros, afin d’aider à la résorption d’un passif voisin de 15 millions d'euros. L’Omonia Nicosie, plombée par des éliminations précoces sur la scène européenne et une politique dispendieuse en transferts, récupérait plusieurs millions en faisant appel à ses fans pour purger une partie de ses dettes d’un montant comparable. L’Alki est un spectaculaire exemple de vertigineuse descente aux enfers, mais si le fair-play financier est strictement appliqué à Chypre, d’autres clubs pourraient vite le suivre dans sa chute.
[1] Famagouste étant située en zone turque (RTCN), ses clubs de l’Anorthosis et de la Nea Salamina sont accueillis à Larnaca. Pour la même raison, la Doxa Katokopia est hébergée dans la région de Nicosie.