<i>Rencontre sous X</i> : le roman du foot-biz
Un espoir sud-africain du ballon rond, une beauté slave reine du film pour adultes… "Rencontre sous X" est le récit insolite de l’histoire d’amour qui se noue entre deux jeunes à la fois victimes et acteurs du cadre professionnel dans lequel ils évoluent. Victimes, car pour l’un comme pour l’autre, les paillettes ne sont que la face visible d’un monde pour qui l’individu est avant tout une matière première. Acteurs, car la contrepartie évidente de cette exploitation réside dans un train de vie sans commune mesure avec ce que les deux tourtereaux auraient connu en restant dans leurs pays respectifs. Le parallèle entre ces deux milieux est la pierre angulaire de "Rencontre sous X": au fil des pages, le lecteur voyage alternativement entre les plateaux de tournage et les coulisses du foot pro. En ce qui concerne ces derniers, tout n’est évidemment pas rose…
Le côté obscur de la force
L’un des principaux atouts du roman de Didier Van Cauwelaert, c’est que, pour une fois, le foot-biz est vu du côté des sans-grade et des "exclus". Le narrateur, Roy Dirkens, est ainsi un anonyme joueur sud-africain recruté par un club français (et parisien…) pour favoriser la vente des droits télé dans son pays d’origine. Laissé sur le banc depuis de longs mois par son club (la vente effectuée, il est devenu inutile), il s’entraîne à l’écart du groupe pro avec des gamins de La Courneuve, sans même l’espoir de fouler à nouveau les pelouses de D1. "Rencontre sous X" met au grand jour avec un cynisme froid la façon dont le système broie l’individu: l’écrivain nous démontre à quel point — en marge d’une poignée de chanceux placée sous le feu des projecteurs — un homme peut être privé de sa dignité par une mécanique absurde, qui le rémunère mieux que le cadre supérieur moyen d’une entreprise (20.000 euros par mois tout de même), tout en le privant de la moindre opportunité de se mettre humainement en valeur. En somme, parce que grassement payé, Roy Dirkens s’aperçoit qu’il n’a aucune raison de se plaindre. Son seul droit est celui d’admettre qu’il puisse être traité comme du bétail, de cultiver sa frustration et sa résignation face au système.
Humour grinçant
Loin de la déprime (assumée) de son héros, "Rencontre sous X" recèle également de nombreux épisodes cocasses: de sa plume toujours bien aiguisée, Van Cauwelaert établie une poilante critique de l’hypocrisie du foot pro. Roy Dirkens est ainsi confronté à la tartuferie de ses coéquipiers et de ses dirigeants, toujours prêts à faire dans l’humanitaire devant les caméras ("Ils se mettent à chanter l’hymne du club, qu’ils vont enregistrer dans quelques jours contre le Sida. On ne m’a pas invité à la chorale. Je fais la-la-la, histoire de m’intégrer…"), mais incapable de la moindre solidarité dans l’intimité d’une relation humaine. C’est ce qu’on constate aussi lors d’une scène grandiose, lorsque le président du club invite l’ensemble de ses joueurs à un déjeuner dans sa maison de campagne: l’esprit famille est censé présider à la rencontre, mais certains joueurs se connaissent à peine et les rivalités l’emportent:
"Puis le président nous emmène visiter un carré de barbelés où il cultive personnellement les carottes du jardin. (…). Le 12, dont j’ai oublié le nom, lui confie que lui aussi, quand il plante des pétunias à l’Ile de Ré, le meilleur moment c’est la pleine lune. Le président le toise, lui réplique sèchement que les carottes ne sont pas des pétunias. (…) Pour faire oublier son penalty raté contre le Real Madrid, il faudra qu’il trouve autre chose").
Bref, ce roman constitue une dénonciation savoureuse de la bonne conscience que se donnent certains footballeurs qui font pourtant couler les liquidités à flot et pour qui l’appât du gain est devenu une valeur de référence.
Le business plus fort que tout
La charge anti-libérale atteint son apogée lors de la scène centrale du roman, l’épisode où le joueur est accueilli par la juge d’instruction pour une affaire généralisée de délits au sein du club. L’occasion de passer en revue toutes les dérives du foot: dopage, magouilles financières, esclavage moderne, trafic d’influence… C’est aussi l’occasion d’un constat de faiblesse de la magistrate, capable de faire condamner certaines infractions, mais pas de les empêcher à la source. Ainsi, quand Dirkens lui parle des manipulations tendant à faire monter artificiellement la côte d’un joueur, ou de celles visant à écarter le public populaire des tribunes des stades, celle-ci ne peut qu’affirmer son impuissance :
"Dans tout ce que vous relatez, il n’y a pas matière à poursuite. Ce sont des stratégies internes, des opérations marketing sans doute condamnables mais nullement répréhensibles, s’inscrivant dans un contexte hélas normal vu l’évolution actuelle".
Du ballon… quand même
Mais Van Cauwelaert ne se contente pas de taper fort: s’il voit juste pour assommer le business, il saisit par ailleurs parfaitement l’esprit qui anime les vrais amoureux du foot. L’auteur nous montre dans une scène assez touchante qu’au-delà des turpitudes du foot pro, l’amour passionnel du jeu et du beau geste peut parfois survivre. C’est le greffier, par exemple, qui, en l’absence de la juge d’instruction, réclame un autographe:
"Je rencontre le regard du type qui frappe ses feuilles sur son bureau pour en faire un paquet bien droit, qu’il range dans une chemise verte. Je lui demande si je vais aller en prison. (…). Il prend un air de secret médical pour me répondre qu’il n’est pas habilité à me répondre. Au bout d’un moment, il me dit doucement qu’il m’a vu l’an dernier en finale de la Rothmans Cup avec l’Ajax, et que mon but de 40 mètres sur dégagement de Brett Evans était un grand moment. Je lui souris".
Quelques autres bouffées d’air frais nous proviennent d’un entraîneur sur le retour et fin connaisseur du jeu et des joueurs, d’un gamin fanatique capable de reconnaître un attaquant anonyme dans une cage d’escalier, d’une équipe d’aveugle qui prend plaisir à taper dans le cuir en toute simplicité. La passion à l’état brut… mais à dose homéopathique, dans une histoire où le fric est omniprésent.
Bien sûr, le récit est victime de quelques invraisemblances passagères: on s’étonne par exemple quand on apprend qu’il existe une tribune entière de supporters racistes à Nantes. On peut aussi regretter une toile de fond un peu simpliste, avec une amourette cousue de fil blanc et pleine de bons sentiments. Pour les amateurs de littérature, ce livre de Van Cauwelaert ne restera donc pas dans les annales comme sa meilleure œuvre. Mais pour les aficionados du ballon rond, la lecture s’avère indispensable. Un vrai bon bouquin pour la plage, histoire de récupérer de la Coupe du monde en période estivale, entre deux parties de beach-soccer au bord de l’eau. Mais c'est juste une suggestion d'emploi.
Rencontre sous X, Didier Van Cauwelaert, éditions Albin Michel 2002. 17,90€.