Hitzlsperger, un petit pas pour l'homo
Trois mois après sa retraite, l’ancien international allemand Thomas Hitzlsperger a fait son coming out. De quoi faire avancer la tolérance... un peu.
Septembre 2013: le milieu de terrain allemand Thomas Hitzlsperger, qui a joué principalement à Aston Villa et à Stuttgart au cours de sa carrière, prend officiellement sa retraite du monde du foot. Après son départ de Stuttgart début 2010, consécutif à une phase aller ratée du club souabe et aux pertes de ses rangs de titulaire et capitaine, Hitzlsperger a bien voyagé, visitant quatre clubs en trois saisons et demi (Lazio Rome, West Ham, Wolfsburg, Everton), sans trop réussir à s’imposer [1]. Pour cet ancien capitaine du Nationalelf, les difficultés à se trouver un club de première division, conjuguées à des blessures à répétition, sont devenues des obstacles trop importants pour poursuivre au plus haut niveau. Le choix d’arrêter une carrière devenue chaotique n’est donc pas illogique. Cet arrêt s’effectue tôt – Hitzlsperger n’a que trente-et-un ans – et dans un relatif anonymat.
Révélation et soutiens
Mais cet anonymat ne dure pas. Car à peine trois mois plus tard, Hitzlsperger révèle son homosexualité dans une interview à l’hebdomadaire Die Zeit. En soi, c’est un événement. Si les sportifs homosexuels de haut niveau font rarement publiquement écho de leur homosexualité, dans le monde masculin – voire macho et homophobe – du football, l’homosexualité demeure un tabou majeur. La prise de parole de Hitzlsperger, qui fait de lui le premier (ex-)footballeur international allemand à faire son coming out, est donc remarquable, et n’a pas manqué d’être remarquée. D'abord en Allemagne, pays que l’ex-milieu de terrain a représenté cinquante-deux fois, disputant notamment l’Euro 2008 sous le maillot aux trois étoiles: parmi les nombreux soutiens à sa démarche, citons ceux d’ex-coéquipiers de la sélection (A. Friedrich, Metzelder, Podolski), de l’ex-président de la Fédération allemande Zwanziger et de l’actuel président de la Ligue allemande Rauball, du sélectionneur national Löw et du manager national Bierhoff, ainsi que ceux du porte-parole du gouvernement, d’un ancien ministre des Affaires étrangères (Westervelle), et du directeur du Comité olympique allemand. Ensuite de l’étranger, avec les soutiens, entre autres, des Anglais Lineker, Barton [2]… et de l’actuel Premier ministre Cameron.
Hitzlsperger explique sa démarche par sa volonté de faire progresser la question de l’homosexualité dans le sport professionnel, de donner le courage à d’autres sportifs pros homosexuels de faire de même, et de leur permettre de vivre sans ce tabou. Selon un sociologue allemand, ce coming out pourrait vaincre un préjugé: Hitzlsperger savait en effet se montrer rugueux sur le terrain, et ses lourdes frappes du pied gauche, qui lui ont valu le surnom "The Hammer" en Angleterre, n’avaient rien à voir avec le côté supposé "délicat" des homosexuels.
Footballeur engagé
Au cours de sa carrière déjà, Hitzlsperger n’a pas été un joueur standard. Si ce natif de Munich a été formé au Bayern, il a émigré en Angleterre très tôt, signant son premier contrat pro avec Aston Villa à un âge où beaucoup de jeunes restent encore chez leur club formateur. Plus tard, il a participé à des événements culturels et littéraires ainsi qu’à des projets sociaux – par exemple la promotion de la lecture chez les enfants de familles défavorisées – passant ainsi pour un intellectuel dans un monde du football où tant d’acteurs ânonnent des banalités. Son engagement se concrétise également dans des actions contre le racisme et l’antisémitisme, qui lui ont valu en 2011 l’obtention du Prix d’honneur Julius-Hirsch [3].
Concernant sa sexualité, quelques rumeurs avaient déjà circulé en 2007. À l’époque fraîchement sacré champion d’Allemagne avec le VfB Stuttgart, Hitzlsperger avait alors annoncé l’annulation de son mariage d’avec sa petite amie Inga, avec laquelle il était en couple depuis huit ans. Mais aucune révélation n’avait suivi, et les suppositions étaient alors retombées dans l’oubli.
Le timing de Hitzlsperger n’est pas anodin: les Jeux olympiques d’hiver de Sotchi vont bientôt commencer dans une Russie poutinienne où une loi interdisant "la propagande homosexuelle" a été votée l’an passé. Ceci constitue une belle opportunité de remettre le sujet sur la table. En outre, Hitzlsperger profite des actions de sa fédération: se voulant active contre toutes les violences, le DFB a publié l’an dernier sur Internet une brochure titrée "Fußball und Homosexualität" (PDF) et replacé au premier plan le combat contre l’homophobie dans le foot. L’Allemagne du foot en a pris conscience, et les mentalités y semblent prêtes à évoluer.
Une avancée relative
Mais la portée de l’aveu de Hitzlsperger est à relativiser. D’une part, comme le regrette l’ex-star du handball allemand Kretzschmar, Hitzlsperger n’a fait son coming out qu’une fois retraité. Il eût été intéressant de suivre l’influence d’une telle révélation sur l’évolution d’une carrière de joueur de nos jours: aurait-on connu une tragédie à la John Fashanu? Et le conseil donné aux autres pros homos en activité de sortir du placard eux aussi n’en eût été que plus fort.
D'autre part, même si Hitzlsperger est connu en Allemagne (37 fois titulaire en sélection, champion 2007 avec Stuttgart) et en Angleterre (où il a passé sept ans), hors de ces pays, son nom ne doit pas évoquer grand-chose, sauf aux fans de ces championnats… et aux commentateurs à qui il a dû poser des soucis. Le coming-out d’un joueur aurait eu un écho médiatique plus retentissant s'il avait été effectué par un joueur de plus grande notoriété. Enfin – mais là c’est la faute à pas de chance! – cette actualité a subi la concurrence très médiatique du méli-mélo à la FIFA sur le Mondial qatari, et en Allemagne celle du feuilleton autour de l’accident de ski de la légende nationale qu’est Michael Schumacher.
La démarche de Hitzlsperger n’est probablement pas suffisante pour déclencher un changement des mentalités. Mais elle constitue une étape vers une plus grande tolérance et une acceptation inconditionnelle de la présence d’homosexuels dans le monde du foot pro. Pour qu’on n’entende plus un coach lier homosexualité et pédophilie, tel Daum en 2008, pour qu’on n’ait plus un joueur indiquant qu’il est marié avec une femme pas seulement pour les apparences ou déconseillant aux joueurs homos de faire leur coming out, tel Lahm en 2011. Comme l’a dit Littmann, l’ex-président homosexuel du FC St. Pauli, il faut espérer que d’autres sauront suivre la démarche de Hitzlsperger. Et un jour viendra enfin où, quand un joueur, quel qu’il soit, où qu’il joue, fera son coming out, il ne fera plus la une.
[1] Hitzlsperger est arrivé à Rome pour jouer plus, en vue du Mondial 2010, mais la Lazio a limogé son entraîneur peu après. En 2010/11, revenu d’un arrêt de six mois pour blessure, Hitzlsperger redevenait titulaire à West Ham, mais il a quitté le club à l’été une fois le club relégué.
[2] Sur Twitter, Barton s’est payé Alex: le Brésilien du PSG avait écrit que "Dieu avait créé Adam et Eve, pas Adam et Yves".
[3] Du nom d’un footballeur allemand deux fois champion et sept fois international dans les années 1910-1914, banni de son club de Karlsruhe en 1933 car juif, et disparu en déportation.