Colchonerotique
À mi-saison, l'Atlético Madrid est en tête de la Liga, à égalité avec le grand Barça et une marche devant l'ennemi juré, avec un impressionnant total de 51 points. L'occasion de redécouvrir ce grand d'Espagne.
Oui, l'Atlético est un grand d'Espagne. Un club qui compte neuf titres de champions et dix coupes nationales au palmarès, soit l'équivalent de l'OM en France. Certes, l'autre équipe de Madrid n'a jamais gagné la coupe aux grandes oreilles, mais c'est la seule équipe européenne à avoir remporté la Coupe intercontinentale sans avoir conquis la C1 au préalable [1]. L'Atlético a également remporté la Coupe des coupes en 1962 ainsi que deux Ligues Europa, en 2010 et 2012.
Guerre civile et premiers titres
L'histoire débute en 1903, quand des étudiants basques de l'École des mines de Madrid décident de fonder une filiale de l'Athletic Bilbao. Le club voit ainsi le jour sous le nom de Athletic Club de Madrid. Les premiers titres nationaux arrivent tout juste après la guerre civile, en 1940 et 1941. Le club, né de la fusion du club aux origines basques et de celui de l'Aviation Nationale, se nomme alors Athletic Aviación Club. En 1947, il prend sa dénomination actuelle, Club Atlético de Madrid, et gagne deux Ligas de suite, en 1950 et 1951. L'entraîneur de l'époque se nomme Helenio Herrera, qui prendra ensuite avec succès les rênes de la grande Inter des années 60.
Les années 60 et 70 voient l'Atlético vivre son âge d'or, avec quatre titres entre 1966 et 1977 et cinq coupes nationales au cours de ces deux décennies (l'actuelle Coupe du roi s'appelle alors la Copa del Generalísimo durant ces années sombres pour l'Espagne). Le titre de 1970 est d'ailleurs remporté sous les ordres du Français Marcel Domingo, déjà joueur lors des titres de 50 et 51.
L'Atlético se fait également un nom sur la scène européenne, avec une victoire 3-0 en match d'appui de la défunte Coupe des coupes en 1962 face à la Fiorentina. En 1974, le destin sera beaucoup plus cruel pour les Matelassiers [2], bien plus encore que de vulgaires poteaux carrés... Le club de la capitale espagnole marque ce qui semble être le but de la victoire pendant la prolongation, sur un maître coup franc de Luis Aragones, mais le Bayern égalise de loin à vingt secondes de la fin: 1-1! Assommés, les Madrilènes perdront cette fois le match d'appui (joué quarante-huit heures plus tard) par 4-0.
Aragones, le sage d'Hortaleza
Les années 80 seront plus difficiles, avec une seule Coupe du roi dans l'escarcelle des Indios, autre surnom des joueurs de l'Atlético. Mais l'Atléti rentre un peu plus dans l'histoire lors de la finale de la Coupe des Coupes 1986 à Gerland, en assistant impuissant à une démonstration du grand Dynamo Kiev de Blokhine et Belanov (Ballon d'Or cette année-là). L'entraîneur est alors... Luis Aragones, encore lui. Car si en France, le Sage d'Hortaleza est surtout connu pour avoir emmené l'Espagne au titre européen en 2008... et pour avoir traité Henry de “negro de mierda”, il est une icône pour l'afición colchonera.
Luis est un pur Madrilène. Il grandit à Hortaleza, au Nord de Madrid, passe par le centre de formation de Getafe (banlieue sud de la capitale), puis par le grand Real Madrid, sans toutefois réussir à s'y imposer. Après avoir galéré dans quelques clubs, loin des siens, il finit par glaner ses galons de titulaire en Liga chez le Betis. Son retour dans la capitale, en 1964, à l'âge de vingt-six ans, sera une renaissance. En dix ans sous la tunique rojiblanca, il rafle trois Ligas et deux Copas, finissant même pichichi en 1970. Quelques mois après la finale malheureuse de 1974 au Heysel, Aragones accepte le poste d'entraîneur et raccroche les crampons. Six saisons sur le banc – certes entrecoupées de brefs départs avortés – succéderont à cette décennie sur le pré à défendre l'écusson à l'Ours et l'Arbousier, les emblèmes de la ville. Six saisons, dont les trois premières seront pleines de succès, puisqu'il mènera les pensionnaires du stade Vicente Calderón à une Coupe intercontinentale en 1975, une Coupe du roi l'année suivante et enfin une Liga en 1977.
Chaos et renaissance
L'histoire entre Aragones et l'Atlético continuera encore longtemps avec des retours sur le banc du Calderón de 1982 à 1986 puis de 1991 à 1993 (une Coupe du roi sur chaque période). La Coupe de 1992 occupe une bonne place dans la légende colchonera. La victoire est obtenue à Santiago Bernabeu, face au Real Madrid des Hierro, Sanchís, Míchel, Hagi, Luis Enrique et Butragueño. La partie, pour le moins musclée, termine sur le score de 2-0, avec des (jolis) buts des deux étrangers Schuster et Futre et un penalty arrêté qui cassera définitivement les pattes merengues. La légende veut que le discours prononcé avant le match par Luis Aragones ait motivé comme jamais ses troupes. Bernd Schuster, pourtant trente-trois ans à l'époque dont dix passés sous les maillots du Barça et du Real, racontera plus tard que jamais une causerie ne l'avait autant galvanisé.
Les années 1990 et 2000 ont été chaotiques pour l'Atlético, notamment du fait de la présidence de Jesus Gil, en fonction jusqu'en 2003. Jesus Gil, ancien maire pour le moins folklorique de Marbella, qui a été jugé pour des motifs de corruption, détournements de fonds, fraudes, aura ainsi usé trente entraîneurs en seize ans [4]. Sous sa présidence, L'Atléti aura connu sa plus belle saison, celle du doublé de 1996 et sa pire, en 2000 avec une relégation, malgré la présence dans l'effectif de Capdevila, Baraja, Luque, Solari, Valeron, le mythique Hasselbaink ou Kiko.
Depuis le retour en Ligue des champions en 2008, le club a repris sa marche en avant, avec ses succès européens de 2010 et 2012. Il croit même à présent en ses chances de mettre fin à l'hégémonie Barça-Real sous les ordres de Simeone, un des tauliers du doublé de 1996. Pour la Liga, pour l'histoire, pour cette afición (nous y reviendrons), souhaitons au Cholo Simeone la même trajectoire qu'Aragones.
[1] En 1974, le Bayern refusera de participer, laissant sa place au finaliste malheureux espagnol.
[2] Le surnom de Matelassiers (Colchoneros en castillan) vient des couleurs rayées rouge et blanc du maillot, semblable aux vieux matelas de l'époque.
[3] TAPIE, bad. BEZ, worse. GIL, worst. Ou encore cet improbable Gil en la bañera.
[4] Aragones reviendra une dernière fois, avec succès, pour faire remonter son club de toujours de l'enfer de la Segunda, en 2002, deux ans après la relégation.