Droits devant, les autres derrière
Un cartel négocie des droits virtuels avec la complicité d'une Ligue-fantôme, ce n'est pas un scénario refusé, c'est exactement ce qui se passe dans le dos de Gérard Bourgoin.
Guy Roux n'en finit pas de prendre des leçons de bonne conduite, cette fois par Aimé Jacquet, histoire de prouver l'unanimité que l'entraîneur auxerrois réunit contre lui. Cela n'entame pas la mauvaise foi d'un expert qui ne lâchera pas le siège à la Ligue que l'Unecatef lui a valu. Il aurait peut-être tort de se priver, étant donné le nombre d'usurpateurs plus ou moins patentés qui occupent diverses fonctions officielles ou officieuses dans le grand organigramme de la famille du football.
On pourrait compter Gérard Bourgoin parmi ceux-là, si son cas ne relevait pas plus d'une dramaturgie de téléfilm, le personnage s'inscrivant parfaitement dans une esthétique résolument FR3 Bourgogne 1979. On peut mesurer son pouvoir réel dans l'éclairante affaire des droits UMTS, qui s'est décidée très loin de son cercle d'influence. Durant la trêve estivale, on apprenait qu'un consortium flou de clubs de D1 et de D2 avait signé un contrat d'exclusivité avec Orange pour la licence des droits futurs pour la norme qui permettra de visionner des images sur des téléphones portables, au mépris des règlements de la Ligue et de la loi sur le sport qui prévoit la centralisation des droits.
La réappropriation et l'individualisation des droits télé était l'objectif numéro un des affidés de Jean-Michel Aulas quand ils ont accidentellement porté Bourgoin à la tête de la Ligue. Ils avaient dû renoncer dans un premier temps, en raison de leur propre incapacité à s'organiser et de la détermination du ministère. Leur sauveur était tout trouvé, en l'incontournable Jean-Claude Darmon qui a fini par imposer ses plans en même temps qu'il s'alliait à Vivendi et Bertelsmann (voir Droits sportifs : naissance d'un empire).
C'est lui qui a conçu les contrats et organisé la répartition, qu'il est intéressant de comparer avec le système "solidaire" en vigueur pour le championnat (un fixe plus une part proportionnelle au classement). Selon les chiffres d'Etienne Moatti (L'Equipe 02/10), l'écart n'est plus de 60 mais de 500%. Bien sûr, il y aura toujours des libéralo-élitistes convaincus qui nous assèneront que c'est le seul moyen de combler le "retard" français et de permettre aux "grands clubs" ne faire le poids en Europe. Pourtant, ce n'est pas d'argent qu'ont manqué le PSG ou l'OM ces dernières années… Et si les chances sont distribuées comme l'argent, c'est-à-dire vers ceux qui en ont le plus, il ne faut plus parler de logique sportive. Même aux Etats-Unis on a compris la nécessité de systèmes (salary cap, draft) qui empêchent le creusement d'inégalités économiques et surtout sportives entre les clubs.
Grisés par leur surclassement dans la cour des grands, les petits patrons comme Jean-Michel Aulas ou Gervais Martel ont les yeux plus gros que le ventre (contrairement à Louis Nicollin) et sont terrorisés à l'idée de rater la manne financière qui descendra du ciel si on les autorise à se coter en bourse.
Dans cette fraction ultralibérale, on attend un changement de majorité aux prochaines élections, et sans aller jusqu'à croire en Madelin président, on ne doute pas que les Bolchéviques seront chassés du ministère. Guy Drut ferait un ministre tellement plus arrangeant. Gérard Bourgoin a constaté cet état de fait sans faire semblant de le contester lors de la dernière assemblée générale de la Ligue, où personne n'a moufté, comme d'habitude.