L'école nantaise, voire l'école française, s'est joliment exportée en Espagne avec Raynald Denoueix, auteur à la Real Sociedad d'un rebond inattendu, mais d'autant plus édifiant…
Pour commencer, la parole la plus avisée est celle de l'intéressé, dans un style qui le décrit déjà très bien:
"J'avais été contacté par les dirigeants de San Sebastian qui m'ont fait part de leur souhait de mettre en place une politique de formation. Ils étaient à la recherche d'un entraîneur qui ait l'expérience du haut niveau et qui soit issu d'un club formateur. J'avais ce profil".
On ne reviendra pas sur le projet sportif de la Real Sociedad, similaire à celui du FCN des années 80, France Football a déjà fait le travail (20/06) et le
site du club est particulièrement disert sur la question (et grâce aux nombreuses photos, inutile de parler espagnol ou basque pour comprendre).
Raynald Denoueix après une apparition de Saint Sébastien. |
Un ermite squatte l’auberge espagnole
Il est d'abord utile de rappeler le contexte particulier du club. Malgré un budget qui ferait envie à plus d’un club de L1 (35 M€), la Real est un club de milieu de tableau de la Liga. Si, dans les années 80, le club a rayonné sur l’Espagne (deux titres au début, une coupe et une seconde place à la fin), il s’est endormi dans le ventre mou depuis plusieurs années. Le dernier exercice a même été catastrophique avec licenciement de l’entraîneur en cours de saison…
Ainsi, Raynald Denoueix a-t-il trouvé à son arrivée un défi modeste. Objectifs de la direction: "essayer de sortir l’équipe de la zone rouge et éviter la relégation avant les trois dernières journées". Selon El Mundo Deporte, il s’agissait de sortir de sa torpeur une équipe historique qui a glissé vers le bord du précipice au long des dernières années. Le journal a d’ailleurs accueilli le technicien nantais comme un bon stratège. Son esprit de dialogue et de formateur était attendu comme une rupture avec les styles "agités" de Clemente puis Toshack qui, lui, a une image déplorable dans la presse. En mettant en exergue la discipline et le caractère offensif de Denoueix, celle-ci adoptait néanmoins une posture plus réservée quant à ses capacités de réaction et de gestion psychologique de l’effectif. Vu les conditions de sa chute nantaise, on aurait pu difficilement donner tort aux journalistes espagnols.
Objet d’un long article, son rapport avec son prof d’espagnol semble révélateur de la manière dont Denoueix a débarqué dans le capharnaüm basque. Javier Altolaguirre est le prof’ de spinguoin des entraîneurs et joueurs étrangers de la Real. Il ne tarit pas d’éloge sur son élève, il aimerait n’avoir eu que des élèves aussi exemplaires, sans point de comparaison avec l’indiscipliné Bernd Krause ou même avec John Toshack qui, malgré des années de présence ibérique, parlait l’espagnol comme Louis, le Gallois. Dès le début, ses progrès ont été rapides. Il sut très vite faire du françespagnol, vraisemblablement mué par la crainte d’être rejeté en raison de sa difficulté à suivre une conversation (il pensait que c’était impoli de ne pouvoir s’exprimer en conférence de presse sans traducteur). Le professeur se satisfait d’un élève qui, en six mois, peut répondre à 99% des questions. Fin psychologue, il analyse Denoueix comme un perfectionniste méticuleux. Il le décrit également comme un passionné sans temps libre qui sait garder un tempérament égal dans la victoire comme dans la défaite.
Un autiste engagé
S’il a regagné une reconnaissance qui s’était un peu évaporée, Raynald Denoueix est aussi devenu un entraîneur médiatique. L’arrivée de Denoueix demeura égale au personnage: bien peu médiatique. À une époque où le foot règne sur la boîte à image, le Raynald est pour le moins discret. Son allure pas très techno, son discours difficile et sa tête à porter des lunettes d’élève en BEP mécanique industriel n’en ont jamais fait un chouchou des médias français. De cette caricature, les journaux espagnols se sont amourachés grâce à un personnage qui a su se montrer sympathique.
Nantais jusqu’aux ongles des pieds, Denoueix le Gaulois est vite tombé amoureux de son nouveau pays. Dans une interview au quotidien Marca, il déclara assez tôt sa flamme:
"j’espère rester ici suffisamment longtemps pour m’y faire des amis (…) je passe le peu de temps qui me reste à connaître tous les jolis coins qui existent dans la région (…) le niveau de la gastronomie est magnifique, il y a de très bons restaurants". Tout en refusant les piques à l’égard de ses prédécesseurs, Denoueix fait de fréquentes allusions à son effectif, notamment pour souligner
"l’énorme disponibilité de l’équipe pour le travail, sa totale adhésion et sa volonté de faire tout ce qu’on lui demande". Si ces déclarations peuvent sembler démagogiques, ces éloges revêtent pourtant tous les traits de la sincérité.
En effet, c’est un certain réal’isme analytique qui a transformé celui qui fut malencontreusement appelé "Richard Denoueix" en "Raynaldo". La franchise du Français a fait mouche. Et pourtant, il n’hésite pas à écorner l’idée véhiculée d’une prédominance européenne de la Liga:
"Le Championnat espagnol compte cinq ou six 'monstres' européens: le Real Madrid, Barcelone, Valence, La Corogne, mais aussi le Celta Vigo ou le Betis Séville. Les autres équipes sont du niveau du Championnat de Ligue 1". Toute la saison, il a martelé que le trône de la Real était un emprunt aux 2 grands:
"Pour le Real Madrid ou le Barça, être en haut c’est une obligation, mais pour nous c’est un rêve qui tombe très bien pour nous motiver".
À coup de déclarations nuancées, il a réussi à séduire des journalistes espagnols parfois ironiques sur son discours répétitif et millimétré. Dès décembre, la presse soulignait son invariabilité. Elle titra sobrement sur la "métamorphose selon Denoueix" en expliquant comment "discipline, ordre et humilité ont fait de la Real un club gagnant". Sans réciter les poèmes du jeu (les coupures de presse françaises sont suffisantes), on peut s’amuser de la retranscription par les intervieweurs qui donnent finalement un caractère très espagnol à l’interviewé: "Aucune équipe jamais, jamais, jamais, n’est parfaite et toujours, toujours, toujours, elle doit penser à s’améliorer".
Un chouchou se traitant avec égards, la presse espagnole a même cherché le soutien un peu improbable de ses compatriotes expatriés. Bien que son seul point commun avec le jeu à la nantaise reste la rudesse de ses tacles similaire aux chefs d’œuvre du Bersonisme, on a découvert un Luccin conquis:
"rien de surprenant, je connais bien la capacité de cet entraîneur, je ne suis pas étonné par le bon rendement qu’il a tiré de cette équipe".
Dura lex sed Denoueix
On pourrait croire l’homme transformé par son douloureux débarquement du navire jaune à la dérive. Et bien non, il a reconduit presque à l’identique sa potion magique: un renforcement à la marge de l’effectif et un petit nombre de joueurs pour constituer une invariable ossature en 4-4-2.
Une balance des transferts qui ne payait pas de mine a permis de débuter la saison sereinement — dans sa période jaune et verte, Denoueix n’a jamais été ni grand acheteur ni gros vendeur. D’abord, il a fallu garder la star, l’étoile du club, le très sollicité De Pedro. Ensuite, pour compenser quelques départs notables et en surcroît de plusieurs premiers contrats pro, sont arrivés quelques joueurs aux profils pas très clinquants: un défenseur au crédit limité, le jeune Boris, deux grognards rompus aux habitudes de la Liga, le maréchal Schürrer, défenseur argentin de Majorque, et le papy russe du Celta, Karpin.
Les joueurs ont certainement puisé de la confiance dans cette stabilité que l’entraîneur français a su leur apporter. Denoueix s’est appuyé essentiellement sur 14 joueurs (8 joueurs ont joué plus de 30 matches, et De Pedro 29) et n’a pas hésité à mettre fréquemment sur le banc quatre de ses joueurs les plus prestigieux (De Paula, Tayfun, Kvarme et Khokhlov).
Un jour j’irais au-delà de la dernière bouée en adoptant la nage du dauphin. |
L’amoureux du jeu a embarqué son immuable 4-4-2, un peu vieilli mais toujours efficace. La défense avec ses véloces latéraux s’appuie sur des défenseurs centraux solides (Schürrer interprétant la partition de Fabbri). Au milieu, c’est une apparence classique avec ses deux meneurs excentrés (Karpin et De Pedro) qui apportent le jeu vers l’axe où un poumon du milieu rayonne. Ainsi, Xavi Alfonso s’est mis en valeur en joueur axial aussi polyvalent qu’infatigable. Tout comme Carrière l’année du titre jaune et vert, il postule désormais à une place en équipe nationale. Le duo d’attaque est constitué de deux pièces complémentaire: un vrai avant-centre et un attaquant mobile qui n’hésite pas à marquer (Kovacevic et Nihat reproduisant mieux encore la complémentarité de Moldovan avec Vahirua ou Monterrubio).
Denoueix a également su valoriser les recrues du précédent mercato d’hiver, qui avaient beaucoup déçu. Ils ont souvent atteint leur meilleur niveau: le gardien de but néerlandais Westerveld, le défensif Jáuregui (qui n’était même pas dans l’équipe de départ) et la paire d’attaquant la plus prolifique de la saison: Kovacevic-Nihat (2e et 3e buteurs de la Liga). Le Yougoslave — pourtant touché par des problèmes personnels — a réalisé une de ses meilleures saisons admettant lui-même se sentir
"physiquement comme jamais". Quant à Nihat, qui avait jusqu’ici caché ses talents de goleador, il avoue modestement que
"les méthodes de travail de Denoueix sont la clef de la réussite".
Sans nouveauté tactique, sans effectif renouvelé, c’est donc avant tout grâce à une excellente exploitation des joueurs que Denoueix a réaffirmé son style (il se dit que la Real pratique le plus beau jeu de la Liga). Il devra évidemment confirmer cette saison si brillante, notamment en faisait supporter à son club les exigences de la Ligue des champions…
Son extraordinaire réussite a évidemment des résonances chez nous. Elle semble confirmer la qualité de "l'école française" des techniciens, le succès de Denoueix faisant écho à celui de Wenger et Houllier en Angleterre — alors qu'a priori cet introverti ne semblait pas le plus exportable de nos entraîneurs. Est-ce à dire que l'attractivité de ceux-ci va s'étendre en Espagne?
L'avenir le dira, mais l'édifiante histoire de cet inattendu exil basque a surtout un sens particulier du côté du FC Nantes, empêtré dans son éternelle crise de non-croissance et de façon plus contingente dans la succession d'Angel Marcos. une question se pose d'ailleurs: le football français ne s'appauvrit-il pas plus par le sort infligé à ses meilleurs techniciens que par le départ de ses meilleurs joueurs? Mais on ne réécrit pas l'histoire, et on ne change pas les méthodes de gestion de dirigeants qui font de leurs entraîneurs le maillon faible des clubs — même si la réalité ne cesse de les démentir avec une certaine ironie...