De la chance au tirage
Difficiles à détecter par les arbitres, les tirages de maillots et prises en tout genre se multiplient sur les phases arrêtées. Jusqu’à en devenir grotesques.
Valence, samedi 3 novembre 2012. Il est un peu plus de 22 heures, et se dispute à Mestalla un match comme les autres, entre deux des plus grandes équipes d’Espagne : Valence donc, qui reçoit l’Atlético Madrid. Une rencontre de championnat certes importante au vu du classement des deux formations, mais qui ne devrait a priori pas être décisive pour la suite de la saison. Et dont le score final (victoire de Valence 2-0), ne souffre pas grande contestation.
Cette opposition a pourtant été le théâtre d’un spectacle aussi habituel que regrettable. À deux reprises au moins, Falcao s’est retrouvé au sol sur des coups de pieds arrêtés. Des chutes provoquées par des ceinturages à la taille, tirages de maillot, et même projections au sol. Au ralenti, les images sont incontestables, presque révoltantes, surtout quand l’attaquant colombien se fait involontairement marcher dessus une fois par terre et termine le visage en sang. En direct pourtant, impossible de voir quoi que ce soit, hormis une masse informe se disloquer plus ou moins esthétiquement une fois le coup de sifflet donné.
Une mauvaise habitude
Ce n’est évidemment pas une première, et les cas de ciblages d’un joueur en particulier, généralement bon dans le jeu aérien, sont légion. Finalement, les seuls épargnés sont les petits, dont on ne craint pas grand-chose sauf s’ils s’appellent Jean II Makoun, et les très grands, dont l’absence subite une tête au-dessus des autres se remarquerait assez vite. Falcao, d’une taille tout à fait classique pour un joueur de foot (1,77 m), mais d’une détente et d'une précision incroyable, fait alors office de parfait candidat pour une petite session de lutte gréco-romaine.
Tout autant que certains attaquants prennent l’habitude d’exagérer les contacts, voire de simuler, sans que cela soit travaillé à l’entraînement, les défenseurs voient dans l’absence de sanction la légitimation du discret tirage de maillot. L’illégalité tolérée, à la manière des coups francs tirés alors que le ballon est en mouvement ou des touches faites n’importe comment, installe une sorte de routine. La valse se fait même en deux temps puisque les attaquants en jouent et agrippent à leur tour leur adversaire direct, et chutent parfois très facilement. Au jeu de poker menteur, personne ne mise et les tapis restent les mêmes.
Comment sanctionner ?
Le vrai problème de ces actions est qu’elles sont confuses. Les joueurs sont regroupés sur une zone très petite, et les duels attaquant-défenseurs sont multiples. Un, deux, trois seront peut-être licites, mais le quatrième verra un joueur offensif servir d’ascenseur. Impossible pour l’arbitre d’être sur tous les fronts à la fois, d’autant qu’il doit s’assurer que le mur reste à distance et que le tireur attend le coup de sifflet, tandis que les assistants surveillent si le ballon est sorti, ainsi que les hors-jeu et la ligne de but.
Le cinquième arbitre, dont le rôle parfois perçu comme inutile peut être d’une grande aide pour juger les fautes dans la surface sur les actions de jeu, pourrait théoriquement être cet œil qui voit les injustices et suggère les réparations à l’arbitre de champ. Mais, s’il peut aider sur les phases évidentes dans sa zone, il se trouve face à un problème insurmontable: comment déterminer qui fait la faute? Dans le cas de ce Valence-Atlético, peu de doutes à avoir. Il y a une victime et un coupable, d’autant que la victime, redoutable buteur, n’a aucun intérêt à entrer dans un jeu de dupe en jouant la faute. Dans beaucoup d’autres en revanche, l’agrippé agrippe à son tour, les bras s’emmêlent, les maillots s’étirent, et la possibilité de jouer le ballon n’existe presque plus. En l’absence d’un coupable clair et net, même pour le téléspectateur qui bénéfice de plusieurs ralentis sous différents angles, le doute profite à celui qui a le plus de raisons de faire faute: le défenseur. Il lui profite tellement qu’il obtient même beaucoup de coups francs sur des actions où il est loin d’être tout blanc.
La victoire de la malice
L’expérience menée brièvement en Ligue 1, dont Mario Yepes se souvient très bien, n’a pas convaincu grand monde. Inégalités de traitement, part d’arbitraire beaucoup trop importante, porte ouverte aux simulations récompensées (aucun intérêt d’en faire si elles n’ont aucune chance de l’être), et bien évidemment manque de synergie entre les arbitres et championnats. Si certaines réformes, à l’image de la vidéo, peuvent convaincre sur la base de l’argument "il faut au moins tester pour voir", celle des coups de pieds arrêtés a déjà perdu celui-là. Et comme la vidéo, justement, poserait sans doute plus de questions qu’elle n’apporterait de réponses, sans compter le temps qu’il faudrait pour les obtenir, difficile d’imaginer une amélioration dans un futur proche.
Alors, que faire? Le poids de la psychologie reste limité face à celui de l’impunité, et les sanctions a posteriori sur la base des vidéos, si elles peuvent se justifier pour des fautes graves ou simulations, qui sont un acte de tricherie, seraient beaucoup trop aléatoires. Surtout, pourquoi vouloir punir des irrégularités dans les duels finalement banales dans un match, sous prétexte qu’elles ont lieu dans la surface? Tellement nombreuses, leur sélection serait forcément arbitraire, tout comme le sont déjà beaucoup de décisions d’une commission de discipline influencée par les choix de diffusion du réalisateur et leur médiatisation. Ce problème de fautes dans la surface, Diego Simeone a dû y réfléchir une partie de la nuit. Et son attaquant, regretter ces actions de but qu’il n’a pas pu jouer. La malice qui triomphe du talent? Le raccourci est rapide, mais il se justifie. Pour que la charnière Adil Rami-Ricardo Costa musèle le meilleur numéro 9 au monde comme pour qu’un lapin sorte d’un chapeau, il y a forcément un truc.