Dans les cartons des Dé-Managers : #5
L’héritage de Marcelo Bielsa au Bayern, les limites du coaching, nos bons et mauvais points, la décla, le schéma, l'action de la semaine et tout plein de liens fascinants...
Changements de dispositifs ou de joueurs, batailles philosophiques et stratégiques, échecs et réussites… Chaque semaine, les trois Dé-Managers proposent leurs billets d’humeur d’une semaine riche en jeu.
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Le code secret des grands coaches
Christophe Kuchly (@ApprentiHorsjeu) – Garder un joueur non-européen dans son équipe suffisamment longtemps, c’est lui permettre de perdre son statut d’extra-communautaire, et donc augmenter sa valeur à la revente. Ainsi, n’importe qui peut sortir les billets et profiter de ce qu’aura créé le club précédent. Former un joueur à occuper un autre poste est tout à fait différent. Bien sûr, une fois lui ou son coach parti, il n’oubliera pas tout. Mais l’héritage ne survivra que sous certaines conditions. La lecture tactique d’un poste, ce n’est pas tout à fait comme le vélo.
En faisant de Javi Martinez un défenseur central, Marcelo Bielsa a élargi la palette de celui qui était déjà un joueur complet, capable même de mener le jeu. Contrairement à ce qui a pu être fait avec Mathieu Bodmer, le choix n’était pas que pratique, il était philosophique. À l’image de Pep Guardiola avec Sergio Busquets ou Javier Mascherano, Bielsa a créé un défenseur répondant à son idée du jeu, lui permettant une vraie maniabilité tactique.
Après une saison parfaite sous Jupp Heynckes, qui s’est terminée par une leçon donnée au milieu de Dortmund en finale de Ligue des Champions, Javi Martinez a trouvé en Guardiola le jumeau pragmatique de son ancien mentor. Et s’il est revenu de blessure dans l’entrejeu, c’est en tant que défenseur central qu’il a terminé le match contre Dortmund, Jérôme Boateng laissant sa place à Thiago. Un changement tactique décisif, qui a plus ou moins directement amené les trois buts. La preuve que les grands entraîneurs se comprennent au-delà des équipes.
L’impuissance des entraîneurs, les joueurs à la rescousse
Raphaël Cosmidis (@rcosmidis) - Le football est injuste, et méprise l’idée de mérite. Il compte seulement les buts, l’action d’envoyer le ballon derrière une ligne, entre deux poteaux et une barre qui les relie. Il s’embête d’un gardien (imaginer un football sans gardien ouvre un champ de nouveaux problèmes tactiques immense). Le football est capricieux.
Samedi, Roberto Martinez a vaincu Brendan Rodgers, mais Everton n’a pas battu Liverpool. Malgré trois buts encaissés, Simon Mignolet a fait un grand match. Malgré le coaching audacieux – et suicidaire – de Brendan Rodgers, Liverpool s’en est sorti, grâce aux miracles de son gardien et à la maladresse de Deulofeu. Le Catalan en année Erasmus, Luis Suarez, sur un coup franc charmant, et Daniel Sturridge, entré pour sauver son équipe, ont rappelé que seuls les joueurs valident le succès d’un entraîneur. Celui de Martinez lors du derby restera officieux.
Parfois, aussi, les joueurs comblent un manque de leur coach, comme James Rodriguez en seconde période face à Nantes. Englué dans un 4-3-1-2 dysfonctionnel, dont les failles inhérentes ne furent pas compensées (“Il manque un peu de monde sur les côtés”, reconnut Abidal à la mi-temps), il fallut l’éveil brillant du Colombien pour mettre au monde ce match. Placé en 10 derrière Falcao et Rivière, puis derrière Martial et Rivière, James se démultiplia, fut capable de tenir le ballon pour permettre à la transition offensive très lente et trop timide de Monaco d’exister. La performance classique du “10-noyau” sud-américain.
On a aimé
Le changement de paradigme que connaît le Barça sous l’égide de Tata Martino, dont les frémissements avaient été commentés ici, et qui trouve aujourd’hui sa pleine maturité. En témoigne le troisième but du club catalan, marqué sur un contre alors que Grenade avait l’occasion de revenir à 2-1.
La force tranquille de Zlatan Ibrahimovic. Pas une seule course qui aurait lâché Mario Yepes, mais un match ponctué d’un but et d’une délicieuse passe décisive. Inutile de courir quand Lucas Moura le fait pour deux.
Le remplacement de Mario Mandzukic par Mario Götze. Non pas qu’on adore ce prénom, ni qu’on déteste le Croate, mais enlever un attaquant pour marquer un but est une lubie que Guardiola justifie régulièrement. Évidemment, Götze ouvre le score et c’est l’analyste Pep qui est récompensé.
Le courage de Claudio Ranieri qui sort Radamel Falcao. Blessé ou non, le Tigre ne faisait que des mauvais choix devant le but, glissait, gâchait. Son remplaçant, Martial, légitime la décision de son coach en étant à l’origine (lointaine il est vrai) du but.
L’activité de Ross Barkley au milieu d’Everton. Vif, technique, fin dans le jeu, élancé. Vingt ans en décembre. Déjà un tube.
Le match esseptionnel de Robert Lewandowski contre le Bayern Munich, imbattable dans les duels, créateur, technicien, trop fort pour Dante et Boateng réunis. Qu’il rejoigne les Bavarois serait vraiment trop facile. Splendide, aussi.
Le métamorphe Philipp Lahm, un coup false 6, un coup “interior” comme on dit au pays des milieux, et un coup de retour au poste de latéral droit. En gardant toujours la même justesse et la même disponibilité au travers de son placement. Aux échecs, Lahm serait la reine.
Toby Alderweireld a peut-être la même tête que le rappeur Macklemore, mais il a surtout une capacité d’anticipation et de relance immédiate parfaite. Avec Godin et Miranda, l’Atlético peut passer les fêtes au chaud.
René Girard, palme d’or du pragmatisme, ne peuplera pas les rêves de milliers d’enfants. Mais il sait construire une équipe solide capable de se procurer suffisamment d’occasions pour marquer.
Sami Khedira blessé, Isco l’a remplacé au milieu. Un positionnement bas pour lui, qui ne l’a pas empêché de réussir son meilleur match depuis des mois.
Fernando Llorente à la réception des passes longues d’Andrea Pirlo et les autres? Séduisant sur le papier, de plus en plus efficace sur le terrain. Avec aussi Tevez, Vucinic et Quagliarella, la Vieille dame a rarement été aussi séduisante.
On n’a pas aimé
Le milieu de Liverpool, qui une semaine sur deux, selon la qualité de l’adversaire, se fait dominer façon masochiste, pas aidé par Brendan Rodgers. Ni par Joe Allen, titularisé pour aider Gerrard et Lucas. Auteur d’un match moyen et fossoyeur du 3-1 pour les Reds, l’ancien de Swansea rate un retour pourtant si désiré…
L’entêtement de Floyd Ayité à vouloir tirer de loin. Les probabilités ne sont déjà pas en sa faveur, et elles chutent encore plus étant donné sa qualité de frappe.
La prestation cataclysmique de la défense de Getafe. Jouer à 10 contre l’Atlético n’est pas aisé et vouloir revenir au score est louable. Mais dégarnir l’arrière-garde sans jamais aller de l’avant n’a aucun sens. Alors si les défenseurs marchent…
La présence de Josuhua Guilavogui sur le banc. Non pas pour ce qu’il aurait pu apporter, mais pour ce qu’elle dit des lacunes d’un joueur international… et de l’inanité de certains recrutements. Il faudra beaucoup de travail technique et surtout tactique pour qu’il puisse soutenir la comparaison avec Tiago et Gabi, insolents de facilité. À 12 millions, ça fait cher le travail de post-formation.
Rétrospectivement, les bouderies de Haris Seferovic. Le Suisse est un bon joueur, mais Carlos Vela est plusieurs niveaux au-dessus. Et son association avec Antoine Griezmann peut aboutir à une action d’éclat à tout moment.
Le tableau statistique
Probabilité de marquer selon la distance du tir en Ligue des champions. 5.122 tentatives nous disent que frapper de plus de vingt mètres ne vaut pas vraiment le coup. (Via Reddit)
La décla
“Il me rappelle beaucoup Jamie Carragher. Je ne pense pas qu’il faille le juger du point de vue du talent ou de ses compétences mais plutôt sur son cœur, son envie, sa détermination à se battre pour l’équipe.” Steven Gerrard au sujet de Jon Flanagan, vingt ans et étonnamment bon contre Everton samedi.
Le bonus linguistique
Info trouvée sur le fil Twitter de Jonathan Wilson : le département de lettres et de linguistique de l’Académie des sciences hongroise a lancé un programme visant à étoffer le vocabulaire du football. Le premier mot? “Tükörszéls”, qui signifie “inverted winger”.
L'action de la semaine
Les Anglais ont exporté le football en Amérique du Sud il y a plus d’un siècle. Aujourd’hui, ils prennent des cours particuliers auprès du Chili.
La revue de presse anglophone
Un homme tombé amoureux de Juan Roman Riquelme narre sa quête de l’être aimé.
Jonathan Wilson raconte comment la raclée vécue par les Anglais en 1953 face aux Hongrois les a amenés à gagner la Coupe du Monde treize ans plus tard.
Jonathan Wilson était en Croatie pour la qualification de Modric, Rakitic et Mandzukic, désormais dirigés par Niko Kovac.
Michael Cox dessine un sombre avenir pour Osvaldo du côté de Southampton.
Instant technique du jour, Counter Pressing (de son petit nom Adin Osmanbasic) s’épanche sur les nouveaux espaces à utiliser dans le football.
Le Guardian réunit Jonathan Wilson et Michael Cox (Zonal Marking) pour un article qui n’apprend rien à personne mais s’amuse à faire un classement des 32 qualifiés pour la Coupe du monde. La France n’est pas première.