Dans les cartons des Dé-Managers : #13
Santi Cazorla l'ambidextre, ce que le Superbowl dit du football, Thiago Alcantara le point de passage, une tirade mythique de Luis Aragonés, le football du XIXe siècle...
Changements de dispositifs ou de joueurs, batailles philosophiques et stratégiques, échecs et réussites… Chaque semaine, les quatre Dé-Managers proposent leurs billets d’humeur.
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Manifeste pour l’ambidextrie
Raphaël Cosmidis (@rcosmidis) – L’ambidextrie, la vraie, est finalement si rare, même au plus haut niveau. Santi Cazorla, le milieu offensif d’Arsenal, est sans doute le meilleur double-pied d’Europe actuellement. De son “mauvais” pied, le gauche, il frappe, passe, dribble, tire les coups de pied arrêtés. Ce week-end, il a servi à Alex Oxlade-Chamberlain un ballon parfait dans le dos de la défense de Crystal Palace. D’un piqué du gauche.
Défendre sur un joueur est facilité par la prévisibilité de ce dernier. À moins qu’il soit inarrêtable, comme Arjen Robben et son crochet chéri, un footballeur peut être étudié, limité par un travail efficace. Faites le pressing sur un adversaire pour le bloquer sur son mauvais pied, et la récupération du ballon est d’un coup plus aisée. Laisser frapper un gaucher de son pied droit, c’est limiter les risques.
Face à Santi Cazorla, défendre est bien plus compliqué. Il faut “respecter” ses deux pieds, comme on respecte le shoot d’un basketteur parce qu’on sait qu’il a de grandes chances de rentrer. L’ambidextre au football est un tennisman qui pourrait jouer en coup droit des deux mains, il force l’adversaire à élever sa concentration et sa performance. Avoir un excellent pied suffira toujours au football, avoir les deux donne tellement d’options et ouvre tellement de possibilités qu’il est surprenant de voir aussi peu de joueurs capables d’alterner pied droit et pied gauche.
Footballs, destins croisés
Philippe Gargov (@footalitaire) – Le Superbowl 2014 s’est terminé sur un score indécent en faveur des Seattle Seahawks (43-8, ce qui équivaudrait à un 6-1 en soccer). Rarement une équipe n’aura autant dominé son adversaire, et ce dans tous les secteurs de jeu. Et pourtant, les perdants du jours finissent avec un feuille de match très honorable, le quarterback Peyton Manning et son receveur principal Demaryius Thomas ayant chacun décroché un record pour un match de Superbowl (34 passes complétées pour le premier, 13 passes reçues pour le second). Une seule grosse différence entre les deux équipes: les Denvers Broncos ont essuyé quatre turnovers, pertes de balles provoqués par l’impressionnante défense adverse.
Qu’est-ce que ce résultat peut nous apprendre pour notre football à nous? D’abord, que gagner n’implique pas nécessairement de dominer, ni même faire jeu égal. C’est une évidence, et pourtant nombreux sont les commentateurs qui l’omettent lorsqu’ils évoquent des hold-ups et autres victoires imméritées quand seul le résultat devrait parler. À l’instar de Sochaux ce week-end (mais uniquement ce week-end), souvent aculé mais jamais désorganisé, la défense continue de distinguer les équipes qui savent gagner de celles qui savent ne pas perdre.
L’autre leçon pourrait être celle de la possession. En football de l’ère post-Guardiola, s’assurer le contrôle du ballon s’inscrit dans un processus défensif plus général, consistant donc à limiter les risques de contre-attaques foudroyantes après une offensive rondement menée. Sauf que, et c’est ce que nous apprend la noyade des Denver Broncos, une telle machinerie implique que toute l’équipe soit aussi bien huilée, et pas seulement un ou deux joueurs-phares.
On en a vu un bel exemple avec Barcelone, mené par Valence après avoir dominé les premières minutes du match, incapable d’imposer son jeu de possession habituelle et donc d’attaquer le but sereinement. En cause, l’absence d’Andrés Iniesta pendant la première partie du match, un Sergio Busquets largement en-deçà, et Lionel Messi qui reste rouillé et peine à retrouver son niveau, sinon par bribes. Et pourtant, tous les ballons sont passés par lui, quand bien même il n’avait pas les jambes pour sonner la charge. Le public aurait certes abondamment sifflé, mais Tata Martino aurait dû sortir l’Argentin pour apporter davantage de fraîcheur au milieu.
Inversement, et à l’instar de la célèbre “règle des 5 secondes” de l’ex-entraîneur catalan, les Seahawks auront gagné ce Superbowl en asphyxiant le principal animateur du jeu des Broncos, Peyton Manning. Non pas en l’empêchant de faire des passes, comme le montre son record obtenu. Mais en l’empêchant de faire des passes inventives. Des passes plus difficiles, mais qui lorsqu’elles réussissent ouvrent le jeu et permettent à l’équipe d’avancer. C’est précisément comme cela que le Barça a si longtemps dominé, et que Valence a réussi à gagner, en réduisant notamment le champ d’intervention créatif de Busquets. La morale de ces deux histoires se résume en une phrase: rien n’est plus facile que d’étouffer une équipe en panne de diversité.
On a aimé
La longueur du Camp Nou. La même que toutes les semaines. Sauf que ce week-end, le Barça s’est retrouvé mené par Valence, a dû chasser le score. En vain, notamment parce qu’un terrain avec de telles dimensions est beaucoup moins pratique quand il faut égaliser. Le remonter peut être une peine pour une équipe qui n’est pas construite pour le jeu rapide et ne peut pas compter sur un jeu long ou un avant-centre pivot. Lorsque le Barça est en forme, le Camp Nou est une vaste étendue de plaisirs. Quand les Catalans cravachent, il se transforme en une route trop longue vers le but. C'est le revers de la médaille.
La nouvelle super semaine de Morgan Schneiderlin, impeccable face à Arsenal et Fulham. Sans tambours ni trompettes, mais avec la régularité du récupérateur qui ne baisse jamais vraiment de niveau.
L’utilité d’Olivier Giroud face à Crystal Palace. En pivot, il a concentré l’attention des défenseurs et lancé Alex Oxlade-Chamberlain vers son deuxième but, montrant combien il est important et pourquoi les milieux d’Arsenal marquent beaucoup cette saison.
Voir Sergio Busquets aller au pressing sur le gardien adverse, juste pour la folie et le caractère unique de l’événement.
La passe des fesses (réussie) de Wesley Sneijder. Rien que pour l’idée.
Le Bayer Leverkusen de Sami Hyypiä, qui aligne un milieu droitier, Emre Can, au poste de latéral gauche. L’ancien du Bayern n’a ni la morphologie ni la rapidité de l’emploi, mais il forme un supplément technique et un centreur de qualité supplémentaire pour Stefan Kiessling. En phase offensive, il s’incorpore au milieu en prenant une position plus axiale. De quoi embêter le triangle central du PSG?
On n'a pas aimé
La défense du Napoli, décisive dans la catastrophe. Un hommage discret à Arconada pour Pepe Reina, un dégagement en cloche rétro devant sa surface pour Gökhan Inler et un combo protection de balle fantôme-glissade pour Federico Fernandez. Trois des plus grosses erreurs défensives de la saison en un seul match.
Armin Veh, coach de Francfort, qui a mis de côté Sebastian Rode et Carlos Zembrano pour le match face au Bayern, en prévision de celui contre Braunschweig. Compréhensible dans l’absolu, mais première en Bundesliga, qui pourrait en appeler d’autres: se sentant incapables de faire vaciller le géant, les petits sont désormais tentés de faire l’impasse.
La démonstration stérile de passes livrée par Hambourg face à Hoffenheim. 67 % de possession à l’extérieur, un nombre incalculable de transmissions et seulement sept tirs, pour une défaite 3-0. Loin de sa réussite avec la sélection néerlandaise, Bert van Marwijk cherche la bonne formule. La semaine dernière déjà, son équipe avait monopolisé le ballon et été battue sur le même score par Schalke 04.
Lucas Moura, qui malgré deux passes décisives, a multiplié les mauvais choix, rappelé au monde qu’il n’avait toujours pas de pied gauche et persisté à s’encastrer dans l’axe et la défense adverse. Un bulldozer dans le corps d’un technicien.
Les dix premières minutes burlesques de Rome - Parme, finalement arrêté alors que le terrain était inondé. Même s’il eut été intéressant d’observer l’adaptation de la Roma à une pelouse inadaptée à son jeu en passes courtes.
L'infographie de la semaine
Le match de Thiago Alcantara face à Francfort, marqué par ses 159 passes et 185 touches de balle, deux nouveaux records en Bundesliga (Via StatsZone, cliquer sur l'image pour agrandir).
Les déclas
"Il n’y a pas de football parfait." Pep Guardiola, questionné sur la prestation étincelante de ses hommes ce week-end.
"Vous voyez ça? (en pointant le tableau blanc) Et bien ça n'est pas important. Ce qui compte, c'est vous. Oubliez la tactique, c'est le Real Madrid. Allez-y et mettez-le dans leurs fesses." Luis Aragonés, disparu cette semaine, à ses joueurs avant la finale de Coupe du roi 1992. Pour la petite histoire, ce passage concluait toute une tirade lancée par une promesse du coach espagnol: si son Atlético ne gagnait pas, il se mettrait une bouteille de Coca dans les fesses.
La vidéo de la semaine
Dix-neuf passes pour remonter le terrain, inoffensives pendant la majorité de la phase de construction jusqu'à la prise d'intervalle et le centre décisif. Valence prend Barcelone à son propre jeu avec Sofiane Feghouli dans le rôle du créateur d'espace et Pablo Piatti (1,63 m) à la conclusion... de la tête.
Le gif
Match entre les réserves du FC Porto et du Maritimo Funchal. Le joliment nommé Gonçalo Paciência joue à la toupie. Et tourne un peu trop pour le défenseur adverse.
L'anecdote
Avant son déplacement à Chelsea lundi soir, Manchester City était sur une moyenne de 2,96 buts par match. Seules dix équipes ont terminé le champîonnat au-dessus des trois buts de moyenne, huit d’entre-elles datant du… XIXe siècle cher à José Mourinho. Le record est de 3,58 et appartient à Sunderland 1892.
La revue de presse (presque) anglophone
Vainqueur du Genoa dans le match de l'année, la Sampdoria relève la tête avec Sinisa Mihajlovic. Markus Kaufmann explique sa méthode.
Envie de tout savoir sur la philosophie défensive de l'Ajax? Vraiment tout? La réponse est ici (prenez une journée de congé si vous voulez aller au bout).
Comment jouent les grands clubs européens? Sam Tighe de Bleacher Report a concocté une analyse individuelle sous forme de slides. Facile à lire et instructif.
José Mourinho a qualifié le jeu négatif de West Ham de "football du XIXe siècle". Cet article sur le site de la BBC montre pourquoi il a tort.
Pour gagner contre le Real, il faut stopper Luka Modric. Sur Bleacher Report, Aleksandar Holiga explique en quoi le Croate est devenu le point central du jeu de Carlo Ancelotti.