Chelsea, l'année des méduses
Les Blues ont acquis leur billet pour Moscou en dépit des pronostics et parfois du bon sens, mais avec une force que Liverpool na pas pu leur contester. Grant et Lampard sont en finale.
Auteur : Olivier Tomat
le 2 Mai 2008
Septembre 2007 : tout le monde lâche un soupir de soulagement. Jose Mourinho s’en va et, avec lui, une des seules raisons de supporter (au sens étymologique non-anglicisant du terme) Chelsea, un des rares clubs qui fassent systématiquement l’unanimité contre lui.
Grant hôtel
On connaît la rengaine, parfois pénible : club censément anhistorique, symbole de l’emballement du foot business contrôlé par les caprices de milliardaires exotiques aux sources de revenus pour le moins douteux et surtout, jeu ennuyeux au possible.
L’extase atteint son comble lorsque le remplacement du Portugais est connu : Hiddink indisponible, le choix du Board se pose sur une solution interne. À n’en pas douter, la nomination d’Avram Grant est l'avis de décès d’une pénible ère d’emphase et d’insulte à l’esprit du jeu. Chelsea, déjà mal-en-point en Premier League et inquiété par Rosenborg en Ligue des champions, est au bord d’un déclin irrémédiable. Sept mois plus tard, les Blues luttent pour le championnat et verront Moscou.
Au fond, peu importe de savoir si Grant – lequel ne s’est pas privé au passage de tuer le père d’un subtil "Benitez est un grand entraîneur. Je commence à comprendre pourquoi ils nous ont éliminé les deux dernières fois" – a joué un rôle réellement moteur dans l’accession au paradis promis ou si, comme le prétend l'opinion majoritaire, de jeunes gens assoiffés de titre et bourrés de talent ont élevé l’autogestion au rang de modèle efficace.
Machine de guerre
Ces 210 minutes, contre toute attente mais de manière logique eu égard aux scenarii considérés, de très loin la plus excitante des demi-finales, constituent une sorte de cristallisation du fantasme ultime de Mourinho – et probablement de son propriétaire – perpétué par le sosie d’un sergent de Tsahal: une machine de guerre destinée à tout broyer sur son passage, dans un cocktail de puissance individuelle et collective brute, et de technicité capable de créer la rupture à partir de rien.
Démonstration dans le déroulement d’une première mi-temps dominée par un duo Ballack-Lampard étincelant de justesse et de volonté de ne laisser personne respirer, et un Essien surpuissant et plus étonnant que jamais de détermination. Et puis Chelsea dispose de l’arme fatale. On avait laissé Didier Drogba passablement surexcité, pour dire le moins, au moment de la victoire sur United. Mais Benitez a probablement commis une erreur en accusant publiquement, insulte suprême en Angleterre, l’Ivoirien d’être un plongeur récurrent. Résultat: un danger constant –d’autant plus du fait de la sortie prématurée de Skrtel – et un premier but superbe de spontanéité, ponctué d’une jolie glissade au nez de l’Espagnol.
Inéluctable
Liverpool entretient certes ce rapport mystique à sa Champions League, ce savoir-faire chamanique qui ébranle les infériorités les plus criantes, cette foi d’airain qui, couplée à cette tendance irrépressible qu’ont les Blues à décliner lentement en cas d’avantage, permettra aux Reds de revenir dans le match d’un coup de patte de Benayoun (tactiquement préféré à Ryan Babel) et un coup de grâce de l’inévitable ange Torres. Mais on ne pouvait se débarrasser de ce sentiment, au fond déprimant, d’inéluctabilité de la reprise d’avantage londonienne.
Laquelle ne viendra, les Reds vendant malgré tout chèrement leur peau, que sur le coup du sort d’un penalty inutilement provoqué par un Hyppia qui accuse tout à coup ses cinquante-sept ans et transformé avec un sang-froid irréel par le sublime Frank Lampard. Le reste – le joli débordement d’Anelka pour le cobra Drogba, le missile de Babel ou la faute de main surprenante de Petr Cech, l’hallucinant double double-contact d’un Hyppia revanchard dans la surface avant d’être douteusement balancé par l’avant-centre adverse ou le but justement refusé à Essien – n’est que réécriture des notes de bas de page d’une histoire en marche.
Chelsea, plus fort, atteint enfin la finale de la Ligue des champions, Liverpool réitère ses contre-performances relatives des années paires et Avram Grant, méprisé par le public, méprisé par ses joueurs, voire par les joueurs adverses (image saisissante de Steven Gerrard, transparent hier – c’est-à-dire, pour lui, non décisif – le balançant sans égards sur son banc de touche pour récupérer le ballon, sans que d’ailleurs personne ne s’en offusque), peut toujours croire en ses chances de réussir un somptueux doublé... avant d’être viré.