Changer les règles : 1. Mieux sanctionner
Première partie d\'une réflexion sur les réformes possibles du football et leurs objectifs, qui commence par le volet \"disciplinaire\" de la question...
Le débat sur l'évolution des règles du football est récurrent, mais il se heurte à des difficultés évidentes, d'abord parce que l'enfer est pavé de bonnes intentions: réécrire l'une des 17 lois du jeu revient à modifier un fragile équilibre qui a survécu en dépit de lacunes évidentes, et toute mesure peut engendrer des maux supérieurs au mal qu'elle souhaitait initialement combattre, et des effets pervers incontrôlables a priori.
Limiter les injustices, un vœu trop pieux ?
C'est notamment ce que l'on s'acharne à souligner ici à propos des vertus présumées de la vidéo, qui poserait des problèmes d'application insurmontables, engendreraient des injustices parfois supérieures et introduirait de nouveaux biais tout en marquant plusieurs pas en arrière pour la fluidité (et la qualité) du jeu. On n'y reviendra pas maintenant, pour se pencher plutôt sur les objectifs qu'il serait légitime de poursuivre... et de définir avant de proposer des mesures afin que celles-ci ne consistent pas juste en des réactions à des situations ou des points trop particuliers...
En schématisant, deux finalités principales semblent se dégager pour une réforme des règles, définissant deux approches qui toutes deux déplorent l'immobilisme de l'International Board de la FIFA en la matière. La première (on abordera la seconde dans un article à venir) consiste à limiter les injustices et les atteintes les plus fragrantes à l'équité du jeu. L'objectif est légitime, même s'il faut se garder de croire en une vision trop "pure" du football, qui souhaiterait le débarrasser totalement desdites injustices et des filouteries qui participent, pour le meilleur et pour le pire, à la beauté ambiguë du football (dont la "main de dieu" signée Maradona serait le meilleur exemple). La volonté de mieux combattre les violences et les actes d'antijeu – simulations, tricheries et autres trucages éhontés attentatoires à la morale sportive la plus élémentaire – se fonde sur le constat que les arbitres ne peuvent à eux seuls tous les identifier et que l'arsenal répressif est très imparfait, favorisant l'impunité des coupables les plus manifestes.
Réécrire le score, une tentation dangereuse
Dans un article récent de When Saturday Comes, Ian Plenderleith fustige ceux qui poussent des hauts cris chaque fois qu'une infraction est récompensée par le résultat, soulignant que leurs auteurs ne font finalement qu'utiliser, en bons professionnels, les failles du règlement pour parvenir à leurs fins. Et de citer le célèbre cas de Luis Suarez, vilipendé pour avoir célébré la réussite de sa main dans les derniers instants du match Uruguay-Ghana de la Coupe du monde 2010, empêchant le ballon d'entrer et les Black Stars d'accéder à la demi-finale (après avoir raté le penalty). En pareil cas, selon l'auteur, il devrait être possible d'accorder le but à la manière des essais de pénalité en rugby. Pourquoi pas, même si on ne suivra plus du tout Plenderleith lorsqu'il recommande de réécrire le score en annulant les buts mal acquis et en ajoutant ceux injustement refusés, ou en retirant des points aux équipes concernées – seul moyen selon lui pour que la sanction soit plus grande que le bénéfice de la tricherie.
Le journaliste de WSC a certes raison de dire que l'utilisation rétroactive des images est très insuffisante, mais vouloir réécrire le score en recensant les erreurs d'arbitrage (dont seule une petite fraction concernent des décisions indiscutablement erronées), c'est tomber dans le panneau des commentateurs qui décrètent que telle décision arbitrale a décidé à elle seule du résultat, sans considération pour les centaines d'autres facteurs et faits de jeu: le raisonnement ne marche que dans le cas de Suarez – une action à l'ultime minute –, évidemment pas pour une faute restée impunie ou mal punie au cours du match, dont l'incidence n'est pas calculable. Changer les résultats et les points acquis après la fin des rencontres ouvrirait la porte à une sorte de football de prétoire dans lequel les décisions sur tapis vert seraient encore plus sujettes à caution, surtout si elles remettent en cause les classements ou les qualifications...
Arbitrer a posteriori
Le levier des sanctions individuelles est plus pertinent, même s'il est aujourd'hui bien moins puissant car d'application restreinte. On sait en France à quel point la jurisprudence Fiorèse [1] n'a pas eu beaucoup de lendemains, la mansuétude prévalant largement comme dans le cas de Johan Micoud pour sa fameuse simulation lors de Bordeaux-Nancy en avril 2008 [2] ou Vitorino Hilton la même saison pour des faits similaires: tous deux n'avaient écopé que d'un match de suspension ferme, pas de quoi dissuader ce genre de tricherie en regard du profit à en retirer en termes de résultat pour les équipes: le "sacrifice" des joueurs reste très rentable. Dans les cas les plus patents, les sanctions devraient pourtant être plus lourdes et prévoir des suspensions longues pour être vraiment dissuasives auprès des joueurs et pour que la menace soit intériorisée par ceux-ci. Mais ces cas, certes spectaculaires, restent relativement rares et l'action doit porter sur des comportements plus ordinaires.
C'est l'objectif de la Commission de visionnage, dont les pouvoirs ont été étendus à la fin de la saison 2008-2009 par la Fédération, qui lui a donné la possibilité de saisir la Commission de discipline des "infractions disciplinaires particulièrement graves qui auraient fait l’objet de décisions arbitrales manifestement erronées": gestes ayant échappé aux arbitres ou ayant fait l'objet de décisions erronées (excessives ou insuffisantes) sans que les faits n'aient plus besoin de figurer dans le rapport de l'arbitre. Elle est notamment intervenue lorsque Souleymane Diawara avait piétiné Nenê en décembre de l'année dernière, la Commission de discipline ayant sanctionné le Marseillais de deux matches de suspension ferme – sanction alourdie à trois matches en appel. Depuis deux saisons, le dispositif semble avoir introduit une plus grande fermeté, justement parce que la Commission supérieure d'appel de la FFF ne fonctionne plus, comme auparavant la Commission d'appel de la Ligue, à la façon d'un organe d'élargissement systématique.
Antijeu : diminuer la tolérance
Cette fermeté est toutefois très loin de réussir à faire diminuer sensiblement la fréquence des brutalités et des trucages ordinaires qui émaillent les rencontres. Il faudrait pour cela une révolution plus profonde (celles des mentalités) et un élargissement des prérogatives des instances disciplinaires. On peut par exemple imaginer que la Commission de discipline se saisisse de faits et gestes qui n'ont pas forcément d'incidence forte sur les rencontres ou l'intégrité physique de l'adversaire, comme toutes les simulations et autres "amplifications" qui montrent à quel point chercher à tromper l'arbitre est un réflexe culturel parfaitement admis dans le football: désignons notamment ces comédiens qui se saisissent le visage à deux mains quel que soit l'endroit où ils ont été touchés afin de suggérer une agression inqualifiable, ou tous les joueurs foudroyés en pleine course par une rafale de vent de deux kilomètres-heure.
En sus des agressions, les tentatives de tromperies de ce genre, que les médias ont tendance à reprocher plus aux arbitres quand ils tombent dans le panneau qu'à leurs auteurs eux-mêmes, pourraient faire l'objet d'une distribution de cartons a posteriori, qui viendraient s'ajouter à ceux attribués dans le jeu et affecter directement les suspensions applicables en renforçant la dissuasion [3]. Il était question d'effets pervers en début d'article, et il ne faut pas négliger le risque d'une judiciarisation excessive impliquant des bataillons de scrutateurs de vidéos – avec les biais liés à la disponibilité aléatoire des images et aux interprétations de celles-ci. Mais ce tour de vis aurait au moins le mérite de diminuer la tolérance habituelle envers ces actes ainsi, à terme, que leur fréquence.
À ce stade, il est encore plus clair que, sur le volet disciplinaire de la réforme des règles, aucune solution ne parviendrait seule à attendre les objectifs fixés. Renforcer les sanctions ne devrait être qu'une partie de la démarche d'ensemble qui comprendrait aussi l'amélioration de l'arbitrage sur le terrain (de l'efficacité de sa surveillance notamment, via par exemple l'arbitrage à cinq), la restauration du respect des arbitres ou une pédagogie du fair-play dès les premières étapes de la formation. L'amélioration tiendrait donc d'une volonté politique d'ensemble dont on ne voit pas trop qui, aujourd'hui parmi les institutions, pourrait la prendre en charge. Première concernée, la FIFA serait pourtant bien inspirée d'entamer une réflexion sur le sujet, avant que l'opinion ou les médias ne lui imposent des solutions dommageables dont les conséquences auront été insuffisamment pensées.
Changer les règles : 1. Mieux sanctionner
Changer les règles : 2. Calculer les effets pervers
Changer les règles : 3. Sauver le jeu
PS. On aurait pu aussi évoquer, dans ce texte, la réforme éventuelle des sanctions en cours de match, en abordant la question des exclusions temporaires (intéressantes, mais qui posent le problème d'une "sur-intervention" de l'arbitrage, avec un nouveau type de sanction qui ne sera pas moins discuté que les autres).
[1] Lire "Une petite chute pour Fiorèse, un grand pas pour l'arbitrage?"
[2] Lire "La polémique oui, les solutions, non".
[3] En poussant un peu plus loin, on pourrait ajouter les gesticulations outrancières auprès des arbitres et les protestations de la pire mauvaise foi de la part de joueurs archi-fautifs. Il n'est pas toujours facile pour les arbitres de sanctionner ces actes en cours de match, mettre plus tard le nez des joueurs dans ces écarts serait légitime et pourrait être de quelque utilité.