Capacité des stades : qui a le droit ?
L'article Stades : la folie des grandeurs du foot français, a fait naître un débat juridique sur le caractère légal ou non des exigences de capacité fixées par la FFF et la Ligue pour l'homologation des stades. Précisions et compléments.
En remarque préalable, il faut tout d'abord souligner que cet article constituait bien un article: il ne se voulait donc pas une analyse juridique exhaustive qui aurait pu paraître rébarbative à la majorité des lecteurs. C'est la raison pour laquelle les références des lois ou règlements en question et autres précisions juridiques chirurgicales avaient été purgées du texte.
Mais puisque la question est posée, autant y répondre. D'autant que si l'on veut vraiment pousser l'analyse jusqu'à son terme, d'autres griefs d'ordre légaux peuvent être reprochées aux normes juridiques édictées par les instances nationales du foot français.
Illégalités sur le fond…
Comme l'affirme à juste titre l'initiateur du fil de discussion "Tempête dans le verre d'eau d'Eugène Santa", le vrai débat est de savoir si la notion "d’organisation des compétitions sportives" -— qui fait l'objet de la délégation de service public attribuée à la FFF— implique ou non la possibilité de réglementer la capacité des enceintes sportives.
On pourrait discourir sans fin pour savoir si l'ensemble des éléments d'un stade (tribunes, vestiaires, parking…) fait partie intégrante ou non du cadre de l'organisation des compétitions sportives. L'article précédent donnait d'ailleurs une interprétation en la matière. Il n'en reste pas moins que la pertinence de toute analyse doit être jugée au regard des principes juridiques applicables à la matière.
En l'occurrence, une "vision extensive" de la notion d'organisation des compétitions sportives ne nous semble pas possible :en droit administratif, les délégations de service public sont toujours d’interprétation stricte (ce doit être écrit en gras dans le Chapus).
Par conséquent, tout acte administratif prenant des libertés avec les textes, même de façon infime, pourrait être susceptible d’annulation. Cela nous pousse à penser qu’un recours pour excès de pouvoir devant le juge administratif aurait toutes les chances d’aboutir.
… et sur la forme
Par ailleurs, au-delà de ces irrégularités quant au fond, une étude poussée des textes quant à la manière dont elles ont été édictées démontre que des irrégularités de forme peuvent aussi leur être reprochées.
Tout d’abord, on peut mettre en relief un défaut de publicité des normes parues depuis 1984, c'est-à-dire l’absence de la publication légale dans un bulletin prévu à cet effet. Tous les actes administratifs entrent en vigueur au moment de leur émission, mais ceux-ci sont inopposables aux citoyens s'ils n'ont pas été portés à leur connaissance.
Par conséquent, cette première situation entraîne l'inopposabilité aux propriétaires de stade des règlements relatifs à la capacité des tribunes. D'autre part, l’éventualité d’une annulation par le Conseil d’Etat est envisageable, puisque les délais de recours n’ont pas commencé à courir.
Par ailleurs, un vice de forme pourrait être soulevé devant le juge administratif. En effet, depuis 1993, les procédures de consultation de la Commission nationale du sport de haut niveau (1) préalable à l’édiction de ces normes — prévues par la loi — n’ont jamais été appliquées. Cette irrégularité ne peut être considérée comme un détail.
Elle démontre, si besoin était de le faire, que la FFF et la Ligue considèrent facultative toute concertation en la matière, en dépit des enjeux économiques et financiers considérables qu'entraînent les modifications des normes relatives à de grosses infrastructures.
Au-delà du débat juridique
Ce n’est donc ni de la mauvaise foi, ni de l’incompétence, ni même une prétendue légèreté dans l’étude du sujet qui sont à l’origine de l'analyse développée précédemment. Celle-ci n’a jamais eu pour objectif de tirer à boulets rouges sur la Ligue (qui avait d’ailleurs été épargnée à tort dans un premier temps), mais de souligner les responsabilités à la fois des instances nationales du foot, des élus locaux et des supporters dans cette folie des grandeurs, aucune de ces responsabilités n’étant ignorée dans l’article.
Il ne s'agissait pas non plus de nier le rôle de la Ligue et de la FFF (ni même des collectivités locales) en matière de sécurité -même si c'est bien l'Etat qui fixe, par l'intermédiaire de la loi (au sens large du terme), les règles relatives aux établissements recevant du public (ERP), qu'ils soient publics ou privés d'ailleurs. Il ne s'agissait enfin pas de dénoncer le caractère scandaleux de la mise à disposition gratuite des stades aux clubs, pour la simple raison que cet argument n'a jamais été soulevé.
Le droit n'est pas tout : au-delà même des considérations d'ordre juridique, le simple bon sens nous semble suffisant pour juger irraisonnable de faire construire des enceintes pouvant accueillir entre deux et cinq fois plus de spectateurs qu'elles n'en accueillent généralement. Mais dans le milieu actuel du ballon rond, bon sens et business ne font pas forcément bon ménage…
(1) Cette commission étudie les conditions d'application des normes fédérales relatives aux équipements (article 26 de la loi de 1984 modifiée).