Tot el Camp és au calme
Excursion – Le football a son théâtre à Manchester, son opéra à Barcelone. On ne vient pas au Camp Nou pour y voir du jeu: on y vient pour “le” jeu, celui du Barça, et rien d’autre. Dans une ambiance vaporeuse, triste et sublime à la fois.
Les Catalans sont des bourgeois: ils viennent au stade comme d’autres vont à l’opéra. Le Camp Nou est un stade muet: les quatre tambours qui se battent en duel pour suivre le faux rythme du match sont finalement bien peu nombreux face à un stade de cette envergure.
Ce samedi, par exemple, le Barça aura mis quatre buts. Aucun n’aura vraiment été fêté. Pas même un speaker pour faire résonner le nom du buteur dans les travées du stade: le supporter napolitain serait bien en peine dans cette triste cathédrale. Seule entorse à ce jeu du silence: à la 17e minute et 14e seconde de chaque mi-temps, s’envole une clameur univoque, réminiscence symbolique de la chute de Barcelone en 1714.
Nouvel ordre mondial
C’est cette identité, qu’elle soit surjouée ou mythifiée, qui confère au Camp Nou le sublime qui le différencie de tant d’autres. Un ciment local que vient contraster l’afflux des touristes étrangers, venus goûter le temps d’un match l’ivresse promise du tiki-taka.
Allemands, Anglais, Français, Chinois, Japonais, Indiens, Russes ou Américains: à l’instar d’Old Trafford, de Santiago Bernabeu et peut-être un jour du Parc des Princes, le Camp Nou évoque plus Babel qu’un stade de football. Au détriment des automatismes vocaux, forcément. Ce polyglottisme est symptomatique: à soixante euros les places de base pour un match de seconde zone (ici contre Grenade), difficile de remplir le stade sans faire appel à la main-d’œuvre étrangère.
Une écharpe pour le souvenir, une photo de Messi pour la postérité, il en faut peu pour rendre le touriste heureux. Voilà aussi ce qui fait du Camp Nou un territoire à part, miroir de la ville qui l’héberge: un pied dans le local, un pied dans le global. Glocal, à l’image du football moderne, porté par une ultime élite transnationale.
Loin de nous l’idée de blâmer le touriste susmentionné. Celui-ci a bien des mérites, ne serait-ce que pour venir au stade voir un match au résultat presque connu d’avance, avec l’innocence de l’enfant qui s’en fout. Il applaudira quand il faudra applaudir, chantera quand il faudra chanter, et fera au final plus de bruit que l’historique socio. Lui en a vu bien d’autres, et ne s’agite vraiment que pour les Clasico.
Les lumières du samedi soir
C’est peut-être le plus étonnant dans le silence de ces travées: les Catalans sont des petit-bourgeois, c’est-à-dire exigeants. Peu leur importe le score, seule compte la manière, à l’exception peut-être des matches contre le grand rival. Les socios ne s’affranchissent donc pas de râler contre ceux qui trahissent les préceptes de leur beau jeu… mais toujours avec la retenue de ceux qui se refusent à vivre leur passion. Le Camp Nou prend ainsi des allures, non pas de café du commerce, plutôt de salon de thé. On y vient comme à l'église, pour partager avec son voisin quelques souvenirs de la semaine, entre deux triangulations catalanes.
La mollesse du Camp Nou s’explique évidemment, et ses détracteurs le répètent inlassablement, par l’emblématique jeu du Barça. Inutile ici de relancer ce sempiternel nid à troll : contentons-nous de rappeler qu’un jeu fait de possession du ballon, et donc de gestion mesurée des attaques, contribue forcément à moduler l’excitation du public.
Mais on ne vient pas au Camp Nou pour voir des buts, on y vient pour s’y délecter des fondamentaux du football : un passe courte de Busquets, un contrôle orienté d’Iniesta, une course croisée de Fabregas... Inutile d’en faire plus, au risque d’en faire trop. On a pu avoir vu ces gestes cent fois sous l’oeil des caméras, on se surprend encore à les découvrir si finement exécutés.
C’est peut-être, au final, la plus grande force du Camp Nou : savoir sublimer les choses les plus simples, et les plus accessibles. L’architecture du stade, et son toit ouvert sur le soleil ibère, en sont les plus merveilleux témoins. Difficile de trouver plus beau qu’un banal soleil se couchant en tribune : cette lumière-là a un goût indicible.
Tout comme l’équipe qui s’active sous ses rayons, qu’on l’aime ou qu’on la déteste, mais qui parvient toujours à nous couper le souffle. Il ne sert donc à rien de s’époumoner: ne reste qu’à se taire pour pleinement savourer.